Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

POUDAMPA Firmin. Carnets inédits du secteur VI de l’Armée secrète. Destruction du pont d’Ousse sur la RN 117.

Firmin Poudampa relate dans ce chapitre les conditions dans lesquelles son groupe participe en juillet 1944 à la destruction du pont d’Ousse sur la RN 117.

 

 

 

 

 

Quelque temps après, le 24 juillet exactement, je reçus l’ordre de détruire le pont d’Ousse sur la nationale 117.

Ce jour-là, vers 20 heures, accompagné d’Olivier SAUBADE, je revenais de Garlin où nous avions récupéré un « container » oublié sur le terrain un soir de parachutage. C’est Mme PUCHEU, chez qui j’avais élu domicile depuis quelques jours pour plus de sécurité, qui me remit le pli apporté dans le courant de l’après-midi par un agent de liaison de Pau.

C’était pour le soir même à minuit. Les dynamiteurs du 17 juillet devaient opérer comme précédemment et j’étais chargé d’assurer leur couverture armée avec mon groupe. L’expédition serait plus sérieuse cette fois car la route nationale PAU-TARBES est autrement fréquentée que la départementale PAU-GARLIN.

Il me faut huit hommes. Je cours prévenir GUATARBES, SAUBADE, PEDELOSTE, les deux frères GALAN, LAHORE, CAZENAVE et LAHEUGERE.

Les quatre premiers se rendront par leurs propres moyens et avant le couvre-feu chez DAUGAS, aubergiste à Ousse, où j’ai rendez-vous avec l’équipe paloise.

GUATARBES, PEDELOSTE, SAUBADE, CAZENAVE et moi-même, nous descendrons sur les lieux avec la voiture en passant par Ouillon et Andoins.

Nous partons au crépuscule, non sans avoir éveillé la curiosité de quelques Morlanais intrigués par nos armes que nous ne pouvons pas toujours tenir parfaitement cachées. Mais attention aux langues trop faciles à se délier : nous sévirons impitoyablement le cas échéant.

Le déplacement s’effectue sans histoire. Nous garons la 202 à deux cents pas de la route et, pendant que j’irai prendre contact avec les dynamiteurs, mes camarades resteront sagement cachés dans le fourré voisin.

Je m’en vais d’un pas rapide en direction de Pau. Quelques paysans rentrent des champs en pressant les troupeaux. Un camion allemand transportant une dizaine de soldats à la mine renfrognée passe à vive allure vers Soumoulou. Si ces messieurs avaient connu le motif de ma présence sur cette route droite et large, sans nul doute qu’ils m’auraient « invité » à les suivre dans leur déplacement de « plaisance ». Mais quel dessein coupable peut nourrir un paisible promeneur aux souliers bien cirés, au pantalon au pli impeccable, au veston de bonne coupe et à la cravate bien nouée ? Et pourtant, ce paisible promeneur a un révolver 7.65 dans sa poche !

La nuit commence à tomber. Voici le pont et, à 300 m plus loin, l’auberge où j’arrive bientôt. Je rentre. Huit consommateurs sont là, que je connais, mais qu’il m’est défendu de connaître.

La plantureuse patronne, aussi gracieuse que doit l’être une porte de prison, me sert une bière chaude et indigeste qui me donne le hoquet. « Le hoquet vous prend trois jours avant la mort » a l’habitude de dire mon père. Je n’ai donc rien à craindre pour ce soir et je souhaite que tous mes camarades aient eu aussi le hoquet à ces tables où ils consomment.

Le bonhomme du coin à lunettes noires, que je dévisage à la dérobée depuis quelques instants comme pour l’interroger, se lève, vient à moi, une cigarette aux lèvres et s’excuse poliment :

  • « Pardon, monsieur, n’auriez-vous pas du feu s’il vous plaît ? »

  • « Mais si, avec plaisir ! »

Puis, à voix basse :

  • « Sommes-nous prêts ? »

  • « Oui, on peut y aller. »

La patronne est toujours là, l’œil rivé à la pendule qui marque dix heures moins vingt :

  • « Allons, messieurs, il vous faut partir si vous ne voulez pas être pris par le couvre-feu. »

  • « Mais oui, nous partons ! Au revoir Madame ! »

Les quatre Palois prennent de l’avance avec leurs bicyclettes. Je pars seul sur leurs traces ; mes camarades morlanais nous rejoindront après une course à travers champs, le temps d’aller reprendre leurs armes dissimulées dans quelque fourré.

Nous sommes sur les lieux alors que la nuit est déjà épaisse.

Les dynamiteurs s’engouffrent sous le pont et, sans perdre une minute, se mettent au travail.

Je place LAHORE, LAHEUGERE et les deux frères GALAN, munis de fusils ou de mitraillettes, en embuscade à 200 m en aval. PEDELOSTE, GUATARBES, CAZENAVE et SAUBADE reçoivent la même mission à 200 m en amont. Consignes : faire discrètement le guet ; riposter en se repliant à une attaque imprévue de l’ennemi afin de donner aux « opérateurs », insuffisamment armés, le temps de déguerpir ; ne prendre l’initiative de l’attaque que dans le cas de passage d’un motocycliste ou d’un automobiliste ennemis isolés, identifiés de façon certaine ; empêcher, trois minutes avant l’explosion, le passage éventuel -mais douteux, étant donné l’heure- de tout véhicule de braves gens de chez nous.

Moi-même j’établirai les liaisons entre les deux groupes et les dynamiteurs.

Tout est calme : seuls, les coups sourds des marteaux et le choc des pinces contre le béton troublent le silence d’une nuit radieuse.

Un cycliste, tous feux éteints, avance lentement sur le bas-côté de la route. Sortant de l’ombre, la main à la crosse de mon pistolet, je l’arrêté en donnant à ma voix un timbre presque amical car ce voyageur nocturne esseulé n’est sans doute pas un Allemand.

Non, ce n’est pas un Allemand mais au contraire le chef d’un groupe résistant des Hautes-Pyrénées, établi dans les environs depuis quelques heures à peine. Remis de son émotion d’une seconde -on le serait à moins, n’est-ce pas ? – il se présente : « Capitaine BIGORRE » puis m’explique : le passage dans la nuit d’un convoi boche sur la route Lourdes-Pau lui a été annoncé par ses chefs alors qu’il se trouvait cantonné à Luquet avec ses hommes. Et il est chargé de l’intercepter. Intrigué par le bruit de nos marteaux et de nos pioches, il venait en reconnaissance, se rendre compte par lui-même de cette activité insolite. Il est ravi de pouvoir nous prêter main-forte avec ses hommes, tous très décidés affirme-t-il et déjà placés en embuscade à 500 m environ.

Je fais part à mes camarades de l’apparition possible du convoi signalé : trois camions, si les renseignements recueillis sont exacts. On se frotte les mains partout.

Mais l’heure avance et la route est toujours déserte : il n’y aura pas de bagarre ce soir ! Un peu déçus, nous bavardons à l’ombre des platanes.

A minuit un quart, les dynamiteurs ont terminé leur travail et, prenant congé de nous, ils nous font savoir que dans dix minutes tout craquera.

En effet, à minuit vingt-cinq, c’est un feu d’artifice réveillant les échos, c’est l’explosion formidable rendue plus impressionnante par le calme de la nuit, c’est une immense lueur qui jaillit dans le noir comme le feu du cratère d’un volcan, et des pierres arrachées, catapultées, tombent non loin de nous.

Le pont d’Ousse a sauté.

Notre mission est terminée mais je veux m’assurer du résultat obtenu. Arrivé sur place, je ne cache pas ma satisfaction. Pouvait-on mieux réussir ? La route est coupée sur toute sa largeur ! Mention « très bien », les gars !

Il est bien près d’une heure. Nous rentrons à Morlaàs en empruntant le même itinéraire qu’à l’aller.

Nous laissons la voiture dans une grange amie à l’entrée de la ville et, paisiblement, les armes à la main, nous arrivons sur la grand- place où des « au revoir » sont chuchotés dans l’obscurité.

Voici ma nouvelle résidence provisoire. Comme je monte avec précaution l’escalier qui gémit, j’entends un pas discret dans le corridor : Mme PUCHEU ne dort pas encore, elle attendait mon retour. Une voix tremblante questionne :

  • « Tout s’est-il bien passé ? »

  • « A merveille, chère Madame. Bonsoir, merci, et dormez tranquille ! »

Capitaine BIGORRE, le convoi signalé ne passa pas cette nuit-là sur la nationale 117. Mais le lendemain à l’aube, trois camions ennemis durent s’arrêter devant le pont détruit.

A la tête de vos hommes placés là en embuscade, vous attendiez cet arrêt pour déclencher le feu sur l’Allemand surpris. Le combat fut rude. Des uniformes verts furent plaqués au sol sans rémission mais un des nôtres, aussi, tomba.

Une pierre blanche, élevée en sa mémoire à l’endroit même où il fut cueilli par la mort, devant ce pont aujourd’hui reconstruit, nous rappelle son sacrifice et le hasard qui fit de nous les compagnons d’un soir dans la bataille.

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