Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

POUDAMPA Firmin. Carnets inédits du secteur VI de l’Armée secrète. Destruction du pont du Luy de France à Morlaas.

Firmin Poudampa relate dans ce chapitre les conditions dans lesquelles son groupe participe en juin 1944 à la destruction du pont sur le Luy de France entre Morlaas et Saint-Jammes

 

 

 

Après le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944, l’activité des F.F.I. décupla. Dans tous les secteurs, suivant les consignes de nos chefs de Londres, les attaques de « guérillas » devenaient chaque jour plus nombreuses et plus efficaces, les sabotages se multipliaient, partout l’Allemand était impitoyablement harcelé.

Lui qui avait cru pouvoir imposer sa loi brutale aux Français, en s’appuyant sur la ruse ou la force, voyait se dresser contre lui, sorti de l’ombre, un peuple en armes, ardent et résolu.

Dans sa réplique, l’ennemi furieux et excédé donna toute la mesure de sa sauvage barbarie : il torturait, fusillait, massacrait, incendiait, toujours avec férocité et toujours sans discernement. D’interminables colonnes armées fouillaient les bois, saccageaient les fermes, semaient partout la terreur. Sur toutes les routes, c’étaient des détachements motorisés, des fusils, des mitrailleuses, des canons même, et des soldats à têtes carrées conduits par des chefs impitoyables. Le jour, la nuit, les fenêtres de ma chambre tremblaient au passage des longs convois. A tout prix, il fallait s’opposer à ce déferlement, retarder sa progression, embrouiller sa marche en avant trop facile. Comment ? En établissant des barrages de troncs sciés en travers des chemins, en détruisant les ponts sur les rivières.

C’est pourquoi le 12 juin 1944, « RAMENA » me donne l’ordre de faire sauter le pont Jean-Bart sur le Luy de France, entre Morlaàs et Saint Jammes.

Je suis plus spécialement chargé d’assurer la couverture armée avec mes hommes pendant l’opération car une équipe de dynamiteurs compétents et entraînés viendra spécialement de Pau. Je dois d’ailleurs entrer en contact avec eux.

Le soir même, je descends donc à Pau et c’est dans un bureau de « l’Agence des Pyrénées », rue Duboué, que le plan d’action est établi : le lendemain, à 13 heures, nous serons sur les lieux pour opérer et il nous faudra environ trois heures de préparatifs avant de déclencher le feu d’artifice.

Je remonte à Morlaàs emportant dans mes sacoches une première provision de « plastic » et de pétards que je camoufle chez M. LAGAHE. Je calcule : puisque nous opérons de jour, inutile de faire un grand déploiement de forces pouvant attirer des soupçons. Il s’agit avant tout d’interdire toute circulation sur la route au moment de l’explosion afin de ne pas faire de victimes innocentes. Je ferai donc la police à la sortie de Morlaàs, un homme de mon groupe en fera autant au sommet de la côte de Saint Jammes. GUATARBES se charge volontiers de cette mission.

Le lendemain, d’un ciel bas et gris comme un ciel d’hiver, une pluie froide et serrée tombe avec rage. Nous n’aurons vraiment pas de chance, nous, les guetteurs !

A midi et demi, quatre cyclistes sont à ma porte : ce sont les dynamiteurs, je les reconnais tous les quatre malgré leurs fausses moustaches postiches.

Mon ami René ne tarde pas à venir et l’effectif prévu est au complet. Un revolver dans la poche droite de mon veston, les détonateurs dans la poche gauche, le plastic, que j’ai extrait de sa cachette, dans la sacoche de ce monsieur barbu, mon imperméable sur l’épaule, en avant !

J’expédie GUATARBES à son poste avec les consignes suivantes : après mon signal -un sifflement long et modulé sur deux tons-, empêcher quiconque de passer ; si, laisser continuer sa route à toute voiture allemande. Ah ! si nous pouvions en prendre une au piège ! Mais n’anticipons pas…

Il est une heure. Personne dans la rue.

Mes quatre camarades partent un par un, à intervalles réguliers. Je leur donne rendez-vous sous le pont.

Ils camouflent leurs bicyclettes dans des broussailles voisines et aussitôt enlèvent de leurs musettes des marteaux, des pinces, des ciseaux de carrier, des poinçons.

Les voilà au travail : ils descellent des pierres à la base de chaque pilier, à la clé de chaque arcade, creusent des niches à plastic. Il me semble que les coups résonnent étrangement sous la voûte ! Le grondement de l’eau sur les cailloux est-il assez puissant pour couvrir un tel bruit ? J’en doute !

Je monte les détonateurs, les dix détonateurs sont montés. Je n’ai plus rien à faire ici, je rejoins calmement mon poste de guet.

Je bavarde un instant avec l’aîné des TRANCHANT qui repart à son travail de maçonnerie sur un chantier proche. Un cycliste encapuchonné descend la pente à vive allure : laissons-le rouler. Le docteur MENJOT passe dans sa voiture et me fait un signe amical de la main ; inutile de le stopper, il n’y a pas encore de danger.

Il est deux heures 45, il pleut à verses et je dois encore patienter 40 bonnes minutes pour le moins. Que répondre si un passant de ma connaissance me demandait machinalement et sans penser à mal l’objet de ma sortie par un temps pareil ?

Voici un bouvier et ses bœufs. Je fais mine de m’intéresser à je ne sais quelle plante accrochée au talus ; pendant quelques secondes, le temps qu’il disparaisse au premier chemin de terre à droite, je me passionne pour la botanique. Que diable, on devrait laisser les bêtes à l’étable quand il pleut !

Je vais de long en large sur la route. Là-bas, du côté de Morlaàs, une femme, pour la seconde fois, s’arrête dans la rue, regarde avec insistance dans ma direction et, trop loin pour me reconnaître, doit sans doute se demander : « Qui cela peut-il bien être et quelle idée chatouille sa cervelle pour qu’il poursuive ainsi sa promenade obstinée sous la pluie ? »

Vous avez raison, Madame ! Il pleut et il n’est que quatre heures moins le quart. Je dois me mouiller quelques instants encore. Que les minutes sont longues et que mes gars travaillent lentement !

Mais ça y est, quatre hommes débouchent des buissons au bas de la côte, sautent lestement sur leurs bicyclettes et grimpent en danseuse le raidillon glissant. Ils passent souriants devant moi : « C’est pour dans cinq minutes. Au revoir ! » et ils s’en vont à vive allure en direction de Pau.

J’appelle GUATARBES dans un long sifflement. Il me répond, il a compris.

Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine ; c’est dans trois minutes à présent ! Mon visage lavé par la pluie doit être bien pâle !

Un bruit de moteur derrière moi, je dois stopper cet automobiliste ignorant :

« Arrêtez un instant, Monsieur, j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose de bizarre au pont de Jean Bart ! »

« Et quoi donc ? » questionne-t-il, anxieux.

Comme réponse, il est servi : une brutale explosion ébranle la paisible vallée et, là-bas, dans le fond, c’est un fracas de blocs et de pierres tombant dans l’eau, c’est une épaisse fumée qui monte en tourbillons convulsifs. Le pont de Jean- Bart a sauté !

Des gens affolés sortent de la maison voisine où les vitres sont brisées, des hommes et des femmes accourent dans la rue de Morlaàs, un petit groupe anxieux se forme et je ne dois pas paraître le moins étonné de cet attroupement car je répète avec assez d’émotion : « ça, alors ! ça, alors ! »

On pose des questions, on me questionne. Mais je suis comme tous ces braves Morlanais, je ne sais rien et j’ai eu bien peur !

  • « C’est peut-être le maquis ? »

  • « Ou bien les Allemands ! »

  • « Au cas où ce seraient les Allemands, il vaut mieux rentrer vite chez soi ! »

  • « Surtout n’approchez pas du pont au cas où il y aurait des dispositifs à retardement encore en place. »

Notre ami, M. LARRAT, ingénieur des Ponts et Chaussées, a été prévenu. Il n’est pas long à venir. Il est directement intéressé puisque c’est lui qui est responsable du réseau routier de la région.

Il serre quelques mains dans le groupe et lorsqu’il vient à moi, il me regarde dans les yeux avec un sourire significatif. Il a compris.

Remplissant son devoir jusqu’au bout, il va se rendre compte des dégâts. Nous sommes quatre à l’accompagner sur les lieux où déjà se trouve GUATARBES revenant… de Gabaston… où il traitait une importante affaire de bois d’œuvre ! Bien joué, René.

Oh ! Le beau travail bien réussi ! Il n’y a plus de pont mais un trou béant et, dans l’eau, des ruines amoncelées.

Toute circulation doit être interdite sur cette route. Ainsi en décide M. LARRAT qui fait placer aussitôt par ses cantonniers de service les panneaux de signalisation d’usage. Il me glisse, en passant près de moi : « N’ayez aucune crainte, je ne vais pas ordonner de sitôt la reconstruction. »

Comme mon cœur battait de joie lorsque, le lendemain, sous mes yeux, un convoi allemand dut rebrousser chemin devant ce pont de Jean-Bart que nous avions fait sauter !

Peut-être, ce jour-là, quelques vies de maquisards furent-elles ainsi sauvées !

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