Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

QUESTIONNEMENT DE GUERRE ET DILEMNE DU CHOIX. L’exemple du S.T.O.

Dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale, Claude Chadelle, professeur d’histoire émérite, explore la question des choix individuels face aux événements, en particulier dans le cas de la réquisition au Service du Travail Obligatoire (STO).

 

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QUESTIONNEMENT DE GUERRE

ET

DILEMNE DU CHOIX.

L’exemple du S.T.O à travers quelques témoignages.

Dans les périodes de turbulences de l’histoire, des choix « existentiels » et obligataires peuvent rapidement s’imposer aux hommes ordinaires sans qu’ils y soient préparés. Outre leur destin individuel, ces choix vont contribuer au sort collectif du pays.

Les conditions

La seconde guerre, évidemment, est riche de tels questionnements. Parmi eux, un événement va impacter de la sorte une partie de la population masculine jeune : le S.T.O. (Service de Travail Obligatoire). La mise ne place est complexe, progressive de 1942 à 1943 (moment de mobilisation maximale) se poursuivant jusqu’en 1944, selon des critères évoluant avec les circonstances.

Cette réquisition de main d’œuvre dans les pays occupés ou collaborateurs répond à un besoin vital pour l’Allemagne en 1942, elle a déjà perdu 1,3 million d’hommes et le n ombre de mobilisés ne fait que croître. Cette force de travail perdue doit être remplacée par celle des requis des pays dominés.

Pour la France, en particulier avec Laval, cette réquisition sur des critères divers est l’objet d’âpres négociations et marchandages de 1942 à 1944. Le but de cette étude n’est pas ici de les détailler ; nombres d’ouvrages y répondent dont celui de Patrice Arnaud « Les S.T.O., histoire des Français requis en Allemagne nazie » (CNRS 2010) ou, pour le Béarn la thèse de M. Dubois. Le bilan sera de 650 000 Français partis pour le Reich (1,5% de la population) et de 200 à 250 000 réfractaires.

Notre étude, modeste contribution de micro-histoire, présente les témoignages écrits et oraux de quelques requis béarnais recueillis il y a une dizaine d’années.

Ils sont assignés au S.T.O., entre octobre 1942 et juin 1943 ce qui correspond à la période de réquisition maximale. Les classes d’age concernées sont celles nées entre 1920 et 1922. Nos témoins ne bénéficient d’aucuns des échappatoires légaux prévus minoritairement par le régime de Vichy – pour des raisons diverses – ou d’actions de sabotage administratifs – destruction des fichiers, faux certificats médicaux …Devant l’ordre de réquisition, ils n’ont d’autre choix que de se soumettre ou devenir réfractaires, donc hors la loi ; dans tous les cas, il s’agit pour eux et leur famille d’une rupture majeure, d’un inconnu inédit pour l’avenir. C’est de l’ensemble de cette expérience dont ils témoignent dans leurs récits, représentatifs de beaucoup d’autres.

A ces témoignages s’attachent les limites de ce type de source même si la globalité des faits relatés est confirmée par les archives.

Malgré une ébauche éventuelle pendant le vécu (notes, correspondances) ils sont pour l’essentiel fondés sur la mémoire avec toutes les émotions qui s’y rattachent.Au cours du temps, le souvenir, la relation des faits peuvent être influencés voir déformé par les modes du moment ou la défense de causes personnelles et collectives. Cependant, au même titre que d’autres documents, ces paroles de témoins appartiennent aux pièces d’histoire. A ce propose voir sur notre site ma communication sur les sources orales.(Les Basses-Pyrénées pendant la Seconde Guerre Mondiale:Bilan et perspectives de recherches. Coll. Culture, arts et société)

Comme autre limite, il existe aussi la localisation géographique du témoin, ici le Béarn qui, par ses spécificités naturelle, sociologique et historique peut influencer les comportements. A ce propos, l’historien Pierre Laborie a pu écrire : « de 1939 à 1945, tout ne cesse de se modifier en fonction du découpage et du statut des zones imposées par l’armistice [……..], en fonction des groupes sociaux et de leur identité culturelle, des lieux, des situations, des moments, des particularismes régionaux, du cours de la guerre ». Les Basses-Pyrénées sont un territoire frontalier avec l’Espagne, pays neutre. De ce fait, pour tous les proscrits des pays sous le joug nazi, il devient une destination privilégiée dans l’attente du passage de la frontière.(opportunité évidemment plus favorable aux dissidents locaux).

Administrativement, depuis les accords d’armistice et jusqu’en 1942, le département est divisé en deux par la ligne de démarcation (entre Saut-de-Navailles, Orthez, Saint-Jean-Pied-de-Port), à l’est la zone dite libre (Béarn et Soule) gérée par l’Etat français de Vichy, à l’ouest, pour l’essentiel, le Pays Basque occupé par l’Allemagne.

Pour le Béarn, jusqu’à l’invasion par le Reich de la zone libre ( novembre 1942), à la différence des régions occupée (particulièrement le Nord et l’Ouest) la guerre paraît plus lointaine. Certes il ne faut pas nier l’impact traumatique du vide laissé par les victimes et prisonniers de guerre. Mais, à coté, les autres impacts sont plus indirects : retirada espagnole (arrivée des réfugiés républicains en 1939) et, en liaison, création du camp de Gurs ; bouleversements administratifs et politiques ; premières réquisitions. Les faits entament peu le quotidien profond d’une population à dominante rurale dont la sociabilité traditionnelle ne connais pas de rupture majeure. Certains, de manière générale, parleront du « lâche soulagement de l’armistice ». Le Béarn ne paraît pas y échapper : l’actualité éclaire plus le succès de la visite de Pétain à Pau que les rares, précoces et peu connus, engagements résistants des année 1940 – 1941 : fuite de D. Cordier, distributions de tracts. Même si le sentiment anti-allemand reste profond et largement partagé dans une population particulièrement éprouvée par le Première Guerre.

C’est donc, dans un certain contexte de continuité illusoire du quotidien que les ruptures de l’année 1942 vont confronter directement les Béarnais (comme une large partie de la population) à la brutalité de la guerre et à l’oppression.

1942 et le S.TO.

En 1942 des circonstances, des événements nouveaux de portée majeure dans la stratégie générale de guerre vont commencer à effriter cet attentisme ambigu qui a suivi l’armistice. On n’en mentionnera que quelques uns.

A travers journaux et radio, les événements militaires deviennent plus prégnants : premiers revers allemands (dont en URSS) bombardements stratégiques, débarquement allié en Afrique du nord. Propagande et réquisitions s’intensifient irritant une part toujours plus large de l’opinion. L’absence des prisonniers marque de plus en plus, réseaux et actions de la Résistance deviennent plus visibles avec plus d’effectifs (réfractaires du S.T.O. notamment) et une meilleure organisation. La nature amorale et massive des persécutions raciales se révèle peu à peu : c’est la phrase de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, lue en chaire «  les Juifs sont des hommes » ; ou les prises de position dans le même sens de l’évêque de Bayonne.

La répression s’intensifie. Les masques tombent peu à peu sur la nature du régime de Vichy : collaboratrice. L’invasion de la zone sud par les Allemands et l’instauration massive du S.T.O. confrontent désormais l’ensemble du pays à des problèmes inédits qui imposent des choix, des prises de position individuelles et familiales.

Le choix

Devant l’ordre de départ émanant de « l’état français », pour un travail forcé vers un territoire du Reich, le requis a plusieurs options dont chacune donnera un type particulier d’expérience et de mémoire postérieure dans l’après-guerre.

Le premier choix préalable est dans l’obéissance ou le refus, la légalité de la soumission ou la mise hors la loi et la répression qui s’en suit (individuelle et familiale).

Les requis obéissant aux ordre seront regroupés à la gare du chef-lieu (ici à Pau) et partiront en train vers leurs destinations d’asservissement.

Les réfractaires ont devant eux différentes options pouvant d’ailleurs évoluer dans le temps.

    • se cacher (expérience ne pouvant être que d’une durée limitée),

    • rejoindre un maquis local, souvent en formation plus ou moins attaché à un réseau de résistance,

    • partir pour l’Espagne, individuellement ou par un réseau de passage préalablement organisé ; ce passage impose un certain nombre de conditions plus ou moins connues des « candidats » : des difficultés de route (milieu montagnard), l’internement en Espagne (majorité au camp de Miranda), une destinée postérieure souvent imposée : incorporation comme soldats dans les forces alliées et de la France Libre (en Afrique du Nord). Ils seront reconnus comme « évadés de France » : 25 000 sur un total de 33 à 35 000.

Ces différents choix doivent se faire dans l’urgence. Ils concernent des jeunes gens, pour la plupart sans expérience politique et ayant jamais quitté la région hormis, pour certain, les chantiers de jeunesse, ersatz vichyste du service militaire. La prise de décision sera donc le résultat d’un jeu d’éléments aussi divers que complexes, difficiles à saisir.

La matrice reste, évidemment, la personnalité et la famille avec ses racines, sa composition, sa force et son histoire mais, à coté, jouent les éléments profonds qui font la particularité d’une société, d’un environnement. Le contexte béarnais précédemment décrit y tient sa place. Interviennent aussi des facteurs plus informels : éducation, réseaux de travail, d’amitiés, de connaissances, informations plus ou moins importantes, plus ou moins déformées, rumeurs et , enfin, sur toute ces dynamiques, le hasard.

De cet ensemble, naîtra la singularité de chaque prise de décision, de chaque expérience, de chaque mémoire. C’est ce que donnent à voir les récits de nos témoins, tout en restant comme on l’a souligné représentatifs d’un échantillon plus large.

Il reste à caractériser l’avenir de ces choix: pendant la guerre et dans la mémoire postérieure qui lui a été attaché.

Selon l’acceptation ou le refus du S.T.O. l’expérience vécue et son image ultérieure seront totalement différentes.

Pour les réfractaires intégrés après un temps plus ou moins long et de manière plus ou moins contrainte dans la résistance et les armées de la libération, le quotidien sera celui du combattant puis de la victoire. L’après-guerre, dans ses cérémonies mémorielles, les intégrera dans les rangs des libérateurs.

Pour les soumis, partis en Allemagne, la destinée est tout autre. L’asservissement comme les conditions de retour ont pris des formes diverses plus ou moins difficiles ; dans l’après-guerre, on a tu leurs récits, ils ne sont pas associés aux cérémonies de la Libération. Il faut attendre 2008 pour une reconnaissance satisfaisante et l’acceptation du terme « déporté du travail », employé d’abord au lendemain de la guerre puis abandonné.

Les récits des témoins référencés sur notre site ( bpsgm.fr) sont l’illustration de ces quelques considération générales. Chacun avec sa particularité de mots, d’émotions relate l’ensemble de son expérience : départ, vécu, séquelles et mémoire contemporaine. Pour nous, chaque rencontre a fait pièce significative d’histoire, pour nos témoins elle a marqué une reconnaissance, une occasion rare de revivre avec ses proches un inédit exceptionnel de jeunesse avec ses séquelles et que l’on avait parfois longtemps ignoré et tu.

Conclusion

Cette connaissance sur les choix imposés à une jeunesse par le S.T.O. entre 1942 et 1945 peut faire expérience, réflexion et écho devant les sollicitations du monde contemporain.

L’association « Les Basses-Pyrénées dans la Seconde Guerre Mondiale »

a publié plusieurs témoignages de jeunes qui furent confrontés au choix imposé par la contrainte du S.T.O.

Ces témoignages sont accessibles en suivant le lien attaché à chaque patronyme.

Ceux qui sont partis.

Guilharretz

Lassalle

Teulè

Cabané

Sarlangue

Crabos

Arretche

Réfractaires et évadés de France

Dupé

Ségot

Condado

Laclotte

Renaud

Bareilles

Nouaux

 

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