Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

POUDAMPA Firmin. Carnets inédits du secteur VI de l’Armée secrète. Mission spéciale, un atterrissage.

Firmin Poudampa relate dans ce chapitre les conditions dans lesquelles il participa à une opération d’atterrissage (arrivée de passagers et départ d’exfiltrés) sur le terrain de Saron au début d’août 1944.

 

 

 

 

MISSION SPECIALE  UN ATTERRISSAGE

Dès 1941, d’innombrables réseaux de renseignements au service des Alliés fonctionnaient en France.

Par radio, ils recevaient les ordres de Londres et, en retour, communiquaient à la B.B.C. les résultats de leurs observations ou de leurs recherches sur les positions et les installations de l’ennemi.

Certains de ces réseaux avaient été spontanément fondés par des Résistants restés chez nous mais, pour la plupart, ils furent organisés par des agents spéciaux et compétents envoyés d’Angleterre.

La région pyrénéenne se prêtait tout particulièrement à leur développement, notamment pour les passages clandestins par une frontière facilement accessible ou pour l’acheminement de documents « écrits » ne pouvant être transmis par les ondes, tels que relevés topographiques et plans d’installations de défense côtière par exemple.

De ce fait, notre département a connu une activité inlassable ainsi qu’en font foi certaines pages de l’ouvrage du Colonel REMY : « Mémoires d’un Agent Secret de la France Libre. »

Les agents chargés de mission étaient soit parachutés une nuit de lune, soit directement amenés à pied d’œuvre en avion.

C’est en prévision d’un atterrissage éventuel, que Londres pourrait vous demander de garantir, que le responsable régional du renseignement m’avait prié de lui signaler dans mon secteur deux terrains propices, aux dimensions et au sol convenables.

Les landes plates de Sedzère, immenses et dégagées, ne nécessitant aucun aménagement et par surcroît assez isolées, étaient tout indiquées pour une telle opération.

Pour le deuxième terrain, mon choix se porte sur le plateau de Saron, aux infinies fougeraies, entre Auriac et Garlin. Son sol n’est peut-être pas très uni mais nous y emploierons activement, pendant une semaine, à la barbe de l’Allemand, un rouleau compresseur des Ponts-et-Chaussées afin que tout soit prêt au moment opportun.

Au matin du 6 août 1944, je suis averti qu’un avion atterrirait le soir même, entre onze heures et minuit, sur la piste n° 2. Le chef du renseignement m’invite à me trouver seul à six heures de l’après-midi devant l’église d’Auriac où il me dira ce qu’il attend de moi.

Je n’avais jamais participé à une semblable expédition mais je savais, par ouï-dire, que c’était quelque chose de délicat et de périlleux. Par contre, les exécutants vivraient d’intenses émotions et, la mission accomplie avec succès, ils jouiraient pleinement d’une légitime fierté.

Je suis exact au rendez-vous. Le Lieutenant BERTRAND, responsable de l’opération, n’est pas long à venir, il est bientôt là avec sa motocyclette.

A peine descendu de sa machine, le temps de rajuster sa fine moustache postiche quelque peu malmenée dans le voyage, il entre dans le vif du sujet. Oui, un bimoteur viendra ce soir, se posera sur notre terrain, nous laissera deux agents secrets munis de postes émetteurs, emmènera deux aviateurs américains, descendus au-dessus de Tours au cours d’un raid de bombardement, et lui-même qui doit rentrer immédiatement à Londres. « Vous prendrez en charge ma motocyclette » me dit-il.

De dix heures trente à minuit et demi, il faudra surveiller, sinon interdire, la circulation en tous sens sur la nationale de Bordeaux et pour cela établir deux barrages : l’un à 200 m de la bifurcation d’Auriac, l’autre à l’embranchement de Garlin.

Je me charge de constituer le premier de ces barrages avec les hommes du corps-franc du Lieutenant MAREAU.

Pour le 21, il est indispensable de prévenir le Commandant BOUCHET, chef du secteur V, qui alertera la section de notre camarade LATAPIE ;

Nous prenons un verre dans la petite auberge du village qui me compte, depuis quelques semaines, au nombre de ses clients assidus. Puis le Lieutenant BERTRAND me quitte parce qu’attendu à Pau pour s’occuper de ses passagers clandestins. Il a rendez-vous au café de la Pomme d’Or avec « HECTOR », de son vrai nom Maurice SOUTHGATE, qui a été parachuté en juillet 1944 dans la région de Mont-de-Marsan par les services secrets anglais.

« Je vous retrouverai à dix heures trente sur le terrain », me dit-il en me serrant la main.

Sur la route ombragée de Thèze, j’appuie allègrement sur les pédales qui grincent. Je trouve mon ami MAREAU, en tenue légère, vacant à des occupations de jardinage, et je le mets au courant de la situation.

Ravi, il va aussitôt avertir ses hommes.

Je rédige un message précis pour le Commandant BOUCHET et je l’expédie à son destinataire par un motocycliste de la gendarmerie. Je puis compter sur le chef du secteur V, je sais qu’il fera le nécessaire de son côté, je n’ai donc pas à m’inquiéter du deuxième barrage.

Mme MAREAU m’invite à partager en famille un repas savoureux, prestement préparé, et pendant que nous mangeons, nous décidons de la marche à suivre pour notre mise en place.

A la nuit tombante, un groupe de dix camarades s’est formé dans un chemin creux à l’entrée du village : les gars qui seront avec nous ce soir. Tous, l’oreille attentive, écoutent les consignes.

A neuf heures trente, MAREAU et moi nous partons en éclaireurs, revolver et grenades en poche. Dix minutes plus tard, une camionnette démarre emportant avec elle deux fusils-mitrailleurs et des munitions, deux passe-partout qui pourraient nous être utiles pour éventuellement barrer la route avec des arbres abattus.

Deux par deux, à intervalles assez espacés, nos compagnons armés de mitraillettes prennent la route d’Auriac. Le groupe se reforme au point de ralliement prévu, un fourré obscur en bordure de la nationale.

Mon camarade, fantassin dynamique et compétent, a vite fait de découvrir le lieu le plus favorable pour établir une position d’embuscade.

Dès dix heures et quart, nous nous mettons au travail. Il faut d’abord abattre en travers de la route un des immenses platanes à l’abri duquel nos tirailleurs s’installeront. La scie gémit en s’enfonçant dans le bois vert. « Ho ! Hisse ! ». Nous tirons sur la corde et, dans un craquement sinistre, l’arbre centenaire s’abat sur la chaussée, les branches mutilées.

Un fusil-mitrailleur à droite avec deux hommes, un fusil-mitrailleur à gauche avec deux hommes également. Les six autres camarades le long du talus, hors de l’angle de tir des deux armes automatiques.

Un agent de liaison vient nous dire que le Commandant BOUCHET est en place. Je laisse MAREAU à la tête du dispositif et je me dirige vers le terrain tout proche, vers le point fixé où le Lieutenant BERTRAND doit sans doute m’attendre.

Mais dans la nuit noire, surtout en secteur presque inconnu, on trouve mal son chemin et j’ai l’impression de m’égarer. Avec ma lampe électrique, je lance le signal convenu ; non loin, à ma gauche, le même clignotement me répond : j’ai une centaine de mètres à parcourir. Soudain, je sursaute, quelqu’un devant moi s’est dressé et me demande d’une voix ferme :

  • « Quelle est votre direction ? »

A quoi je réponds :

  • « Paris-Pontoise ! »

C’était le mot de passe adopté tout à l’heure devant la petite église d’Auriac et c’est le Lieutenant BERNARD qui est là, la carrure impressionnante dans l’obscurité. Par où était-il passé ? Je l’ignore.

  • « Tout est-il prêt ? » questionne-t-il.

  • « Oui, au nord et au sud nos camarades assurent notre couverture et nous pouvons compter sur eux. »

Le Lieutenant BERNARD prononce quelques phrases en anglais : trois formes se précisent dans l’ombre, trois hommes très grands, me semble-t-il, s’approchent et je leur suis présenté.

Je ne puis distinguer ni leurs visages ni leurs vêtements mais je sens, à la pression de leur main, qu’ils sont pleins de reconnaissance.

C’est un pilote de l’aviation américaine, c’est un mitrailleur d’un groupe de bombardement, tous deux abattus par la « Flack » allemande au cours d’une attaque nocturne de la gare de Tours. Ils avaient eu la chance de pouvoir sauter de leur forteresse volante en parachute et, dans la nuit, ils s’étaient réfugiés dans un village des alentours où une famille les avaient recueillis et entourés de soins empressés.

Huit hommes composaient l’équipage : ils ignorent le sort de leurs compagnons de combat.

Je voudrais leur dire combien, à l’heure présente, je me sens leur frère mais je ne connais pas le moindre traître mot de la langue de Shakespeare et je me contente de répéter : ami, ami !

L’autre, le troisième, parle correctement le français mais avec toutefois un léger accent britannique : c’est HECTOR. Il vient de terminer une mission de la plus haute importance dans les Hautes-Pyrénées. La valise, bourrée de documents, sera prise tout à l’heure par l’avion clandestin et emportée à Londres mais lui restera encore dans notre Sud-Ouest où d’autres tâches l’attendent.

Il est onze heures.

Le Lieutenant BERNARD me place à l’une des extrémités de la piste, la plus proche de nous. Lui s’en va avec HECTOR et les deux passagers dans la direction opposée.

A l’approche de l’avion, il émettra les signaux-codes en morse, connus de lui seul, et lorsqu’il allumera sa lampe au rouge, j’allumerai aussi la mienne. Nous les éteindrons dès que l’appareil aura touché le sol.

Nous attendons dix minutes, vingt minutes.

Le silence de la nuit est quasi-total. Seule une motocyclette pétarade mais très loin, vers le sud. Dans les marais de notre lande, les grenouilles poursuivent leur monotone concert. Au clocher de Garlin un coup cristallin résonne : onze heures et demi sans doute. Mais dans le ciel étoilé, là-bas vers le nord, aucun bruit. Les minutes me semblent des heures !

Enfin, je perçois bientôt un vague ronronnement lointain en direction d’Aire. Ce bourdonnement se précise puis s’amplifie. On ne peut plus s’y tromper à présent : c’est bien un vrombissement de moteur d’avion. Mais cet avion est-il le nôtre ? Il me semble qu’il se présente trop à l’est et ne vient pas dans notre direction.

Pourtant, devant moi, à portée de fusil, la lampe électrique du Lieutenant BERTRAND émet déjà des signaux lumineux répétés et ces signaux paraissent attirer l’appareil vers nous.

Effectivement, le pilote a changé de cap et on répond de là-haut par le même indicatif. On réduit les gaz et on perd de l’altitude.

Bientôt, la masse noire, imposante, passe à 500 mètres au-dessus de nos têtes dans le fracas étourdissant de ses deux moteurs fonctionnant maintenant à plein régime et crachant deux traînées de feu par ses pots d’échappement.

Nous allumons nos lampes rouges pour préciser l’axe d’atterrissage. L’oiseau décrit une large courbe et découpe un instant dans son virage sa silhouette sur le fond du ciel. Il revient vers nous, coupe les gaz, pique vers le sol, semble foncer sur moi avec agressivité, touche la lande assez brutalement, roule quelques instants en broyant les fougères sur son passage, puis s’immobilise à peu de distance, moteurs au ralenti.

Une lumière s’allume dans la cabine, des hommes s’agitent à l’intérieur, une porte s’ouvre sur le flanc du bimoteur.

J’approche et, déjà, le Lieutenant BERTRAND et ses trois compagnons sont là, appuyés au fuselage ventru.

  • « Bonsoir, camarades ! » )

  • « Bonsoir, les amis ! » )

  • « Bon voyage ? » ) en anglais

  • « Une nuit magnifique ! » )

  • « Il faut faire vite ! » )

Deux hommes vêtus de cuir portant chacun une valise -les deux agents secrets annoncés certainement- conversent déjà avec HECTOR dans le vent des hélices. Le pilote imperturbable est resté aux commandes du « Mosquito ».

Le Lieutenant BERTRAND me serre la main et monte dans l’appareil, suivi des deux aviateurs américains qui me lancent un sonore « Good bye » au passage.

La porte se referme avec un bruit métallique, l’avion virevolte sur place et aussitôt prend son élan, entraîné par mille chevaux qui l’arracheront bientôt à la terre.

Il a décollé face au nord, il a rasé, à s’y accrocher presque, la cime des sapins qui font un rideau noir sur l’horizon, il prend furieusement de l’altitude et fonce maintenant tous feux éteints vers sa lointaine île qu’il atteindra bien avant le jour.

Déjà, on n’entend plus ses moteurs ; la lande de Saron, un instant animée, est de nouveau silencieuse.

Combien de temps s’est-il écoulé entre l’atterrissage et l’envol ? Quatre minutes tout au plus ! C’est dire combien les équipages de telles missions et les « passagers » qu’ils transitent sont rompus à ces exercices et combien tous méritent un grand coup de chapeau.

Je prends congé de HECTOR et de ses deux « collaborateurs » qui m’ont remis quatre cartouches de cigarettes anglaises à distribuer entre mes hommes.

On me remercie, on se souhaite bonne chance, on se sépare.

Où vont ces trois sujets de sa très gracieuse Majesté britannique ? Je l’ignore. Ce sont des errants qui n’ont pas le droit de rester longtemps au même gîte et qui doivent brouiller les pistes parce qu’ils se savent implacablement traqués par l’Allemand. Sans doute ne reverrai-je jamais ces compagnons d’un soir et d’un instant !

La mission est accomplie et je suis heureux, comme sont heureux jusqu’à l’enthousiasme les volontaires du lieutenant MAREAU et du Commandant BOUCHET qui peuvent maintenant lever l’embuscade et réintégrer leur logis.

Je distribue les cigarettes au tabac blond, puis on se dit tout simplement « Bonsoir » et je m’en vais seul vers Auriac.

Je pousse la motocyclette du lieutenant BERTRAND sous le porche de l’église où je la récupérerai plus tard.

Fatigué, je rejoins Morlaàs avec ma « bécane » en empruntant les vicinales caillouteuses et peu roulantes de la vallée du Luy.

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