Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

PIQUEMAL Bernard. Passage en Espagne sous la conduite du guide Michel Olazabal.

Bernard Piquemal s’engage, encore adolescent, dès l’automne 1940, dans la résistance du Tarn-et-Garonne. Après l’invasion de la zone libre, avec 7 autres jeunes de ses amis, il décide de rejoindre les forces françaises libres d’Afrique du Nord. Le 20 juin 1943, il passe la frontière espagnole dans un groupe de 54 candidats à l’évasion sous la conduite du passeur Michel Olazabal.

 

 

Bernard Piquemal a publié le récit de son évasion de France par l’Espagne dans la revue Arkheia n° 5-6 du 1er trimestre 2001.

Transcription de l’article de la revue Arkheia.

1942 – 1944 : EVADES DE FRANCE PAR L’Espagne

 

Bernard Piquemal est issu d’une famille de « hussard noir» de la République. Farouche opposant à la Révolution nationale, il est encore jeune adolescent quand il s’engage, dès l’automne 1940, dans une organisation de résistance locale « la Phalange anti-nazie » (PAN). Il intègre un peu plus tard les FTPF. Mais las d’attendre pour lutter contre un occupant qui a désormais franchi la ligne de démarcation, il décide, avec 7 autres tarn-et-garonnais, de rejoindre les FFL. C’est son itinéraire par les Pyrénées, les geôles franquistes et finalement son arrivée à Casablanca où il devient pilote de bombardier qui nous est comptée.

L’un des plus grands convois qui a franchi la frontière franco-espagnole est, sans conteste, celui des cinquante-quatre évadés du 20 juin 1943, au port de Belhay, à 1800 mètres d’altitude, en Pays basque, au sud de Sainte-Engrace. Je garde avec émotion, dans ma mémoire le souvenir de notre passeur Michel Olazabal et de son beau-père Pierre qui organisèrent, avec quelques complicités, la formation de ce convoi et en assurèrent la progression jusqu’à la frontière pendant trois longues étapes nocturnes. Sauf pendant la dernière étape au cours de laquelle, tous deux, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, guidèrent le convoi, ils vaquaient à des tâches complémentaires. L’un allait vérifier les points chauds sur notre parcours, l’autre nous faisait progresser vers les cimes et la frontière.

Histoire d’un passage.

Comment avons-nous pu accrocher ce wagon en formation ? Nous étions sept tarn-et-garonnais au rendez-vous frontalier du Port de Belhay. Il y avait René Léris de Saint-Antonin, vieil ami de lycée que nous retrouvâmes par hasard à Pau où il eut des démêlés avec la police qui ne voulait rien comprendre à sa présence touristique dans cette plaque tournante des évasions, qu’était alors le chef-lieu des Basses-Pyrénées, devenu depuis Pyrénées-Atlantiques. Il y avait Pierre Joanny et René Gouze, de Bourret, qui avait conjugué leurs efforts et leurs ressources que je ne connaissais pas et que je découvris dès la première étape. Il y avait Paul Laval et son frère Guy de Montbartier, Jean-Pierre Delort et moi-même de Verdun-sur-Garonne. Nous étions tous décidés à partager les épreuves et les succès. Paul Laval notre aîné, né en 1920, assuma les contacts, procura un passeur, organisa le succès de notre entreprise avec calme, sérénité et beaucoup de dynamisme. Brillant élève du lycée Ingres de Montauban, il venait d’entamer sa carrière dans les PTT, qu’il déserta pour cette priorité du combat anti-nazi. Son frère Guy, de deux ans son cadet déserta lui, d’un chantier de jeunesse en Dordogne avec son ami Louis Pouzergues de Saint-Antonin. Réfractaires au STO, ils n’avaient pas voulu allé contribuer à l’effort de guerre des nazis dans quelque usine d’armement outre-Rhin.

Louis Pouzergues choisit de rester près de sa fiancée et vécut de longs mois avec le maquis d’Ornano qui s’approvisionnait à Cazals, chez Périès, à la maison du pont. Ensuite, Louis intégra le maquis de Monclar.

Delort né en 1923 et moi-même son cadet de six mois, membre du réseau Alphonse Buckmaster et du corps-franc Gérard de Verdun-sur-Garonne, lassés des balbutiements d’une résistance mal organisée et trop platonique à notre goût, lassés d’espérer des parachutages d’armes qui ne venaient jamais, compriment que nous n’avions pas les capacités pour organiser une stratégie de combat valable. Nous décidâmes donc de rejoindre les forces françaises libres où nous aurions avec l’efficacité, la discipline et les armes modernes pour arriver à nos fins. Il y eut des concours des circonstances, des complicités, sans lesquelles eut été vaine notre entreprise. Il fallut faire des choix : devait-on avertir les amis : Louis Sabatié fusillé par la milice le 17 février 1944avec qui nous avions réalisé quelques actions communes…Jean Lacaze, tué au combat de Lavitarelle en août 1944 que j’avais entraîné dans une aventure lycéenne deux ans auparavant, aventure qui tourna mal et l’obligea à vivre sa terminale en exil au Lycée de Cahors…

Les premiers axiomes de la résistance étaient le silence, le secret. Seuls furent prévenus les camarades du corps-franc dont Cyrille Belloc assumerait désormais la direction avec la témérité dont nous le savions capable. Cyrille et Raymond Canezien me fournirent des vivres qui seraient indispensables lors de notre périple pyrénéen. Nous lui laissâmes nos 7,65 et 6,35 les seules armes de notre groupe de six camarades verdunois. Il fallait aussi de l’argent : 3000 francs devaient monnayer notre passage. Le docteur Dupuy, homme de progrès, désintéressé, dont nous vénérons particulièrement la mémoire, qui était au courant de toutes nos activités clandestines nous fournit les fonds. Ce n’était pas tout pour moi : le mineur que j’étais devait s’évader déjà du toit familial. Mon père, qui n’avait certes aucune sympathie particulière pour le régime de Vichy, auquel il devait sa révocation d’enseignant, m’interdisait de partir avant d’avoir assuré mon avenir par le truchement de quelque concours administratif. Mon excellente mère, sans cesse inquiétée par mes absences nocturnes, devina que le motif d’aller m’entrainer à faire de l’athlétisme sonnait faux. Elle se leva à six heures ce 16 juin me donna 3000 francs et me demanda de rendre au docteur Dupuy les 3000 francs qu’il nous avait donné pour moi. Adieux émouvants et la larme à l’œil je retrouvai Jean-Pierre qui faisait les cent pas devant la porte, se demandant si je n’étais pas en train de rompre le contrat. Comme il avait été dit, nous nous arrêtâmes chez le docteur qui refusa de reprendre l’argent qu’il avait donné pour moi, prîmes l’autobus jusqu’à la gare de Dieupentalle, et montâmes dans le train où nous rejoignîmes les frères Laval en route pour Pau avec un autre candidat à l’évasion, de Montbartier.

Dans l’après-midi, Paul Laval se rendit seul pour ne pas attirer l’attention chez le guide Michel Olazabal qui lui donna rendez-vous pour le lendemain. Nous fûmes dirigés sur un modeste petit hôtel complice. Après le dîner, nous sortîmes promener en ville, l’œil aux aguets pour éviter les forces de l’ordre, et ne rentâmes qu’à une heure du matin pour éviter les contrôles policiers dans les hôtels et pour n’avoir pas à remplir les fiches de police. Le lendemain, Paul reçu la consigne d’être avec son groupe, le 18 juin à 4h30 au départ de l’autobus de Navarrenx. Nous dînâmes dans notre hôtel. Jean-Pierre offrit le café du départ, paya avec un billet de 100 francs les 2,50 francs que valaient alors les cinq cafés, et, euphorique laissa toute la monnaie à la jolie petite serveuse émerveillée de pareille fortune. Notre joie, notre impatience d’être plus vieux de quelques heures étaient seulement ternies par l’angoisse visible de notre cinquième compagnon de route, totalement égaré devant l’imprévu de notre situation de hors la loi, et de notre proche avenir. Nous n’arrivâmes pas à le dérider. La nouvelle séance de cinéma ne l’améliora pas. Il craqua complètement et, à 3h du matin il nous réveilla, nous fit ses adieux, nous souhaitant bonne chance et parti dans la direction opposée à la nôtre, pour aller contribuer à l’effort de guerre nazi…Nous n’eûmes le cœur ni de le retenir ni de l’accabler. Une heure plus tard nous nous levâmes, prîmes très discrètement la rue qui nous menait au car qui était déjà à peu près plein. Qui étaient ces gens tous silencieux comme nous-mêmes ? Le bus démarra, nous n’avions qu’à guetter pour descendre le signe de notre guide identifiable à son immense béret, ses leggings et ses souliers cloutés. Cela se passa en pleine nature, peu avant Navarrenx….Surprise ! Au signe du guide, tous les voyageurs descendirent, laissant le complice au volant poursuivre seul sa route. Toujours en silence, puisque c’était la sage consigne nous fîmes connaissance d’une trentaine de camarades de route, heureux d’enregistrer un tel renfort. On marcha jusqu’aux environs de midi. On traversa la route tout près du camp de Gurs et de la sentinelle allemande se détachant dans la pâleur du matin. De friches en sous-bois, en chemin creux après 4 heures de marche nous atteignîmes une grange complice non loin de Barcus où nous rejoignirent, amenés par les second guide une douzaine de nouveaux compagnons.

Le soir du 18, il fallut repartir pour une grande étape nocturne, qui nous amena sans rencontre ni incident, toujours par des lieux déserts, dans une nouvelle grange, sur les hauteurs dominant Montory. La journée chacun se restaurait avec ce qu’il avait amené et se refaisait une santé, car nous savions que le plus dur restait à faire. Défense de sortir et de se faire repérer par quelque avion mouchard ou quelque paire de jumelles.

Le 19 juin, vers 21 heures, ce fut le départ pour la dernière étape, la plus éprouvante…. Vingt heures de marche avec quelques haltes, toujours dans le silence. Qui ne garde le souvenir de cette descente à pic, sur la centrale hydro-électrique de Licq-Athérey où nous laissâmes quelques talons de soulier et lambeaux de vêtements ?….Et le passage, pieds nus, souliers en main, dans la cours de la centrale occupée par une unité ennemie, sur le coup de 2 heures du matin. Quelques figures sympathiques hantent encore ma mémoire : Fifine ? Fifine,  ainsi baptisé par Jean-Pierre dont personne n’a jamais su nom, âge, identité, mais qui me confia deux mois plus tard, en remerciement de l’aide que nous lui avions apportée, être un juif communiste allemand, et avoir fait quatre ans de prison à Berlin dans une cellule voisine de celle de Thaëlman. Fifine passait les Pyrénées avec sa fortune contenue dans une serviette en cuir et ses souvenirs. Deux parisiens, qu’étaient-ils venus faire parmi nous ces deux-là ? vinrent trouver Paul Laval, l’informèrent que la serviette de Fifine était remplie d’or et qu’en balançant Fifine dans le ravin, nous partagerions le trésor. Nous portâmes l’information à l’intéressé qui, la cinquantaine passée certainement, continua sa route butant à chaque pierre, mais manœuvrant toujours pour avoir des tarn-et-garonnais devant et derrière lui.

Et ces deux déserteurs autrichiens de la Wehrmacht qui ne parlaient pas un mot de français et qui nous inspiraient la plus grande suspicion… je les retrouvais quelques mois plus tard à Casablanca, avec le képi blanc et l’uniforme de la légion étrangère et les invitai alors au pot de l’amitié pour faire pardonner le mépris et la méfiance dans lesquels nous les avions enfermés chez Franco. Ils avaient ces deux antifascistes un autre mérite que nous !

Et les Schmidt ? Qui ne se souvient du pittoresque et misérable couple Schmidt ? Sarrois qui avaient opté pour la France au plébiscite de 1935, il s’était battu dans les brigades internationales en Catalogne d’où il était rentré, la main droite mutilée par l’éclatement d’une grenade. Schmidt, famélique venait de s’évader du camps de Gurs, était allé en Auvergne récupérer son épouse enceinte et tentait le passage avec elle et deux musettes vides. Heureusement pour eux, Paul Laval, qui assumait la responsabilité de notre groupe de tarn-et garonnais, avait un oeil pour scruter toutes les détresses autour de nous. Il nous fit adopter le couple Schmidt qui partagea nos agapes et je traînai Mme Schmidt accrochée à mon bras pendant des heures sur le sentier de l’inconnu et de l’espoir, relayé de temps à autre par un ami du groupe.

Et juste avant la frontière nous essuyâmes un très violent orage, peut-être salvateur car il confina dans leurs abris les gardes-frontières allemands. Nos guides nous firent jeter nos bâtons, dangereux en cas d’orage et on s’abrita contre une roche en sur-plomb. Vers la fin nous repartîmes sous une pluie fine, passâmes près de trois vaches mortes qui avaient été foudroyées. Nos guides s’arrêtèrent, nous indiquèrent le val de Venta de Arraco que nous devions descendre jusqu’à Isaba et nous demandèrent d’acquitter le péage. Comme je tendais à Pierre les 3000 francs convenus, il me demanda e que je faisais dans la vie ! Je répondis que j’étais étudiant. Alors il prit 1000 francs pour assurer, ma dit-il, la bonne marche de sa ferme pendant qu’il s’occupait des passages et me rendit 2000 francs dont, dit-il, j’aurai bien besoin sous peu. Merveilleux passeur basque !

Ces 2000 francs allaient fondre comme neige au soleil dans la PPP (Prison Provinciale de Pampelune). Nos guides étant repartis vers le nord pour assumer un nouveau convoi nous progressâmes sur le territoire espagnol afin qu’un no man’s land assez conséquent nous mette à l’abri d’une toujours possible intervention nazie. Mais les Schmidt étaient si épuisés, que Léris, Delort, les frères Laval et moi décidâmes de nous restaurer, de nous reposer, et de passer la nuit dans une cabane de berger en haut des pâturages. D’autre part cela nous donnerait le temps de la réflexion et nous allions tirer des plans pour essayer d’assurer notre avenir immédiat.

Nous comptions sur René Léris, licencié en espagnol pour essayer de feinter la Guardia civil dont nous pensions, très justement d’ailleurs, qu’elle n’aurait à nous offrir l’internement dans les meilleures conditions, le refoulement dans les pires. Il fallait essayer de gagner, à pied si l’on ne trouvait pas d’autre solution, le Portugal, car nous savions que chez ces éternels amis du Royaume Uni c’en serait fini de nos problèmes, que nous serions embarqués aussi tôt pour l’Angleterre et l’espoir qu’elle représentait pour nous.

Nos quarante-sept camarades dévalaient vers la civilisation. Nous les suivrions demain et il s’agirait pour nous d’éviter les bourgs et de déléguer Léris vers les fermes isolées où nous espérions trouver avec l’argent qui nous restait des vivres et des informations.

Seulement voilà : les camarades qui n’avaient pas mesuré l’incapacité des Schmidt à progresser et de s’étaient pas aperçu que la troupe avait diminué, donnèrent de bonne foi des renseignements précis à la police espagnole qui se mit à chercher les sept absents de la troupe…et alors que le 21 juin au matin nous descendions vers la vallée, causant sans retenue, loin des humains, nous nous trouvâmes soudain au coin d’un pan de mur d’une grange en ruine, devant trois mitraillettes pointées sur nous. Il fallut nous rendre à l’évidence nous n’étions plus maître de nos destinées. Nous rejoignîmes, sous vigilante escorte, le gros du convoi dans l’abattoir de la bourgade d’Isaba qui fut le premier lieu de notre internement. Mme Schmidt, elle, eut droit à une chambre d’hôtel.

Le lendemain c’était la fête de Dieu. Quelle autorité d’outre monts pensa que parmi ces rojos – rouges, comme ils nous appelaient, il y avait peut-être de bons chrétiens. Nous fûmes une vingtaine encore bons marcheurs à entrer dans la procession. Les rues d’Isaba étaient bordées de tissus multicolores, quatre policiers nous encadraient ; nous subîmes la messe dans l’église d’Isaba. N’ayant aucune pratique, je regardais ce que faisais mes voisins de travée pour faire comme eux.

Pourquoi l’organiste y alla-t-il de la sérénade de Schubert que Schmidt à coté de moi chantonnait en allemand ?

Que sont devenus ces cinquante-quatre évadés ? Hormis les quatre survivant du Tarn-et-Garonne c’est l’inconnu… Nous nous sommes trouvés ensemble ce 20 juin 1943 parce que dans ce moment fort de notre existence notre motivation était commune et tellement énorme qu’elle ne nous permettait pas de nous préoccuper de nos différences.

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