Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

POUDAMPA Firmin. Carnets inédits du secteur VI de l’Armée secrète. Un parachutage.

Firmin Poudampa relate dans ce chapitre les conditions de préparation et de réalisation d’un parachutage d’armes et de munitions réalisé sur le terrain du plateau de Ger. 

 

 

 

 

UN PARACHUTAGE

Quatre heures du matin.

A l’aube d’une belle matinée d’été, j’arrive, extrêmement fatigué, devant l’allée de chênes de ma vieille demeure, perdue dans la campagne. Des lapins, surpris dans leurs ébats par le grincement de mon vieux vélo, détalent, comme ceux de Daudet, la queue en l’air, dans les buissons.

Je ne dois pas m’attarder et je n’en ai pas le droit. Il faut que je rentre avant le jour pour ne pas être vu des bavards ; et, comme aux yeux de certains, je suis « coupable », je dois me méfier de la Gestapo qui, comme chacun sait, guette au petit jour ses victimes à la porte de leur demeure.

Rien. Je pousse avec précaution le portail de fer. Je suis chez moi. Tout s’est bien passé mais les avions ne sont pas venus, le parachutage annoncé n’a pas eu lieu. Dommage, car la nuit était fort belle et la lune était au rendez-vous. Ce sera peut-être pour ce soir ; je le souhaite de tout cœur. En attendant, je vais m’offrir quelques minutes de repos avant de reprendre mon travail quotidien. Il ne faudra pas cependant que j’oublie l’heure des messages.

Ah ! ces messages !

« Toc, toc, toc… Ici Londres. Veuillez écouter maintenant des messages personnels… »

Phrases idiotes franchissant l’espace et qui pourtant ont une signification puisqu’elles dirigent le travail clandestin des peuples asservis et préparent la Libération :

« Michou aime bien râcler les plats ».

« La tante de Julie n’a qu’une dent ».

« Le maçon se sert de la montre ».

J’ai mes messages à écouter. Depuis longtemps, nous avons un terrain de parachutage agréé : une vaste lande de fougères et de tuies sur le plateau de Ger, à l’est du paisible village de Séron, une magnifique aire de mille mètres de long sur 800 de large, bien dégagée et assez loin des grandes voies de communication.

Après la visite d’inspection du Responsable départemental des parachutages, les coordonnées exactes avaient été envoyées à Londres par radio et aussitôt Londres avait homologué le terrain, avait donné l’indicatif (la lettre M en morse) et le texte de trois messages qu’il fallait garder secrètement :

« La poésie est finie ».

« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit ».

« C’est la romance de Paris ».

« Vous resterez à l’écoute du 5 au 30 juin » m’avait ordonné, en me serrant la main, le « monsieur » à barbe épaisse et à lunettes noires. Et il avait ajouté : « Soyez vigilant ! »

22 juin – 13 h 30.

Comme d’habitude j’écoute, attentif, les émissions de la B.B.C. Et soudain, dans ma chambre résonne : « C’est la romance de Paris. Je dis : c’est la romance de Paris. »

Un bond, notre message est passé. Et deux avions viendront ce soir, si du moins la phrase est répétée à 19 h 30 et confirmée à 21 h 15.

Pourquoi deux avions ? C’est tout simple : parce que le speaker a lu deux fois le message. Remarquez qu’il aurait pu dire aussi : « C’est la romance de Paris, deux fois », et le résultat aurait été le même, deux avions auraient été annoncés.

Je suis fou de joie. Je sifflote l’air fameux de Charles Trenet ; pourtant, je ne dormirai pas ce soir. Qu’importe puisqu’il y aura du sport.

Deux autres personnes de confiance sont aussi à l’écoute. Il y a mon ami dévoué « KOKO » de Morlaàs qui doit s’occuper des voitures et alerter les hommes de l’équipe. Il y a le lieutenant « MAROC », camouflé chez un brave paysan de chez nous : le roi du parachutage, qui circule du Gers aux Landes et des Landes aux Basses-Pyrénées avec sa petite valise râpée qui est un poste émetteur. Le Lieutenant « MAROC » est simple et doux comme un enfant, dévoué comme un saint. Il « consomme » une voiture automobile par mois à rouler sur tous les terrains et par les chemins les plus extraordinaires ; il se rit des pannes d’électricité en écoutant ses postes à piles dans les bois. C’est l’homme en relation avec le ciel et qui alimente ainsi en armes toute une région. C’est un modeste qui sera désorienté à la Libération et qui ne voudra pas revêtir son uniforme d’officier colonial pour passer inaperçu.

Sa petite Simca marron viendra comme un bolide couper ma sieste de l’après-midi et me donnera en même temps quelques battements de cœur car, en ces temps troublés, celui qui n’a pas la conscience nette n’aime pas entendre des bruits de moteur à sa porte. On ne sait jamais !

19 h 30 : messages personnels

« C’est la romance de Paris, je dis : c’est la romance de Paris. » Quel bonheur !

21 h 15 : messages personnels

« C’est la romance de Paris, je dis : c’est la romance de Paris. » Ma poitrine se dilate d’émotion et de joie. C’est confirmé, deux avions viendront ce soir.

Je cours chez ce brave « KOKO » pour régler la question des véhicules. Il y a de grosses difficultés. Le camion de « GASTON » n’est pas de retour d’Oloron ; celui de « SEVERIN » est encore chargé de briques. Il y a le petit « ROGER », un chauffeur que sa mère ne veut pas laisser sortir la nuit à cause des Boches. Il y a aussi à récupérer la Peugeot DK5 de l’Armée qui se trouve camouflée dans un bas-fond de Sedzère, depuis que l’Allemand réquisitionne, incendie et tue dans les fermes des environs.

La nuit va tomber. Ce sont des pourparlers à voix basse dans la demi-obscurité et, avec de la bonne volonté, des bras et de la sueur, tout s’arrange.

La question des transports résolue en comité restreint, tous les hommes de l’équipe, déjà alertés depuis 14 h, sont prévenus. D’abord ceux qui opéreront sur le terrain : ils sont douze. Puis ceux qui assureront la couverture armée du lieu de parachutage.

« EDOUARD », toujours prêt à bondir, va prévenir le groupe de Ponson qui surveillera la route de Tarbes aux endroits déterminés longtemps à l’avance.

« MAROC » est allé dire aux hommes de Sévignacq de nous protéger vers le Nord suivant le plan P. Lui-même assurera nos arrières sur la route Morlaàs-Vic.

Et c’est le départ de l’équipe, discrètement.

Les hommes prennent les gars au rendez-vous fixé à 1 km de la ville. Ronflement de moteurs dans la nuit, phares en veilleuse, quelques lièvres dans la clarté de la lune : la campagne est à nous. Seuls, sur la route, les trafiquants du « marché noir », affolés par notre approche, se jettent dans le fossé et nous laissent passer.

Le couvre-feu imposé retient toute une population dans les maisons après 21 h.

Deux gendarmes, en uniforme s’il vous plaît, sont partis à l’avant en éclaireurs avec en poche un faux ordre de mission signé du chef de Brigade.

Nous défions tous les règlements du Code de la Route : éclairage plus que discret, vitesse maximum. En avant vers Séron, à l’embranchement de la route de Vic et de Lembeye.

Nous sommes vite arrivés. Un « affolé » de l’équipe de protection nous dit que les Allemands sont sur le terrain, il a vu des ombres singulières se déplaçant. Nous avons nos mitraillettes. Je pars en reconnaissance avec « KOKO », « EDOUARD » et « OLIVIER ». Un cycliste de l’équipe nous annonce que « MAROC » est seul sur le terrain. Nous respirons, le Bon Dieu est avec nous. Sincèrement, pourrait-il être avec « les autres » ?

Les trois camions arrivent, s’évitent, se garent. « MAROC », un peu à l’écart dans un fossé, monte son poste radio. Je poste les hommes qui feront le balisage du terrain avec des lampes électriques de poche. Première constatation : il n’y a pas de vent, on peut baliser dans le sens de la plus grande dimension, c’est-à-dire Est-Ouest.

Je place d’abord « REMUS » puis, à cent mètres plus loin, « LACRAQUE » et dans l’alignement j’immobilise « DIDI ».

Dès que le premier avion aura fait ses signaux, ces trois hommes allumeront leur lampe. Je me place à dix mètres à la droite de « REMUS » avec ma lampe à signaux morse.

Tout est calme. Le terrain, baigné de lune, est immense et plat ; le ciel est serein, un oiseau nocturne jette des appels répétés. Les cœurs palpitent d’émotion. Nous écoutons comme les patriarches écoutaient les messagers célestes. Tout est grand et splendide.

Les Allemands -nous avons entendu rouler leurs camions- sont à trois kilomètres au sud. Ils ne savent pas ou n’osent pas.

Nous sommes là une vingtaine, tous unis comme pour un crime et tous solidaires les uns des autres avec un dévouement absolu pour chacun et nos familles.

Si les Boches arrivent, nous riposterons de notre mieux et nous essaierons de nous faufiler sous les étoiles… car les ombres sont rares sur la lande infinie. Il ne faut pas croire au danger ; nous n’y croyons pas. Seul le cœur se serre parfois, c’est seulement une question de fatigue.

Il est minuit trente.

Je crois percevoir vers le nord le bruit sourd d’un moteur. Chut ! Nous écoutons avec plus d’attention : le ronflement se précise. Nos cœurs battent plus fort. Oui, ce sont les avions, ils arrivent vers nous. « KOKO » ne peut s’empêcher d’applaudir et de crier : « Vivent les Anglais !» Je dois le rappeler à l’ordre.

Sans besoin de commandement, chacun à sa place sait ce qu’il doit faire et chacun sait qu’il faudra agir avec rapidité.

On entend maintenant d’une manière très nette les vrombissements. Les deux appareils sont « accrochés » à 25 kilomètres par je ne sais quel poste radio mystérieux. Ils se dirigent vers nous.

C’est le moment ! J’allume, l’espace de vingt secondes, un petit feu d’herbes sèches pour signaler le terrain. Puis, inlassablement, avec ma lampe de poche à dispositif spécial je répète l’indicatif : M, M, M,

Les deux avions, encore à haute altitude, sont presque au-dessus de la lande. Les pilotes répondent à nos signaux suivant le code établi par des A répétés, point-trait, point-trait, point-trait.

Ils savent, par nos M lumineux, que nous sommes des Français en attente et nous savons que les A, envoyés en réponse, sont ceux d’aviateurs amis.

Aussitôt, « REMUS », « LACRAQUE » et « DIDI » allument leurs lampes de balisage. Les deux immenses oiseaux de nuit se placent dans l’axe des trois feux. Je donne quelques ordres brefs : « Couchez-vous. Repérez les parachutes, surtout les premiers et les derniers. « Edouard », compte-les si possible. »

Et soudain les deux avions coupent les gaz, piquent lentement. Dans l’espace devenu presque silencieux tombe une pluie de gigantesques champignons que nous devinons blancs, rouges et bleus, qui atteignent le sol dans un choc mat.

Puis, de nouveau, c’est un vrombissement infernal qui remplit la nuit. Les deux masses noires et trapues passent au-dessus de nous et, après un dernier signal qui est un signal d’adieu, mettent le cap au nord.

Sur la lande, on s’agite. On entend des appels brefs, des rires étouffés. Notre Père Noël est arrivé et a laissé tomber ce que, depuis des mois, nous attendions : des armes pour nos maquisards ! Il paraît même qu’il y aurait un « colis » pour « l’équipe » : cigarettes et chocolat.

Hélas, que je vous le dise tout de suite, nos pipes et nos palais délicats eurent vite à déchanter car il n’y eut ni tabac ni douceurs, cette fois. Qu’importe d’ailleurs puisque ce que réellement nous désirions était bien arrivé.

Quelle joie et que cela paie de toutes les nuits passées dans l’attente vaine du messie de Londres ou d’Alger ! Ce soir, il a été fidèle au rendez-vous et il nous a apporté 25 « containers », cylindres blancs de 2 m de long et 50 cm de diamètre, d’un poids de 200 à 250 kilogrammes chacun, cylindres pris dans des filets accrochés aux parachutes.

L’équipe se précipite. Encore une demi-heure et les Allemands seront roulés. Il faut faire vite. Parachute décroché, chaque « container » est enlevé par quatre hommes comme fétu de paille et hissé, sans être ouvert, sur les camions. Travail pénible car les courroies des poignées scient les mains ; les visages sont en sueur. Bientôt, le dernier cylindre est « embarqué ». « Vite aux parachutes ! ». Ils sont récupérés, troussés à la hâte et jetés dans le dernier véhicule. Il ne s’agit pas de laisser sur le terrain des témoins dangereux de notre opération.

En route !

Il est deux heures. Les camions filent dans la nuit, suivis de la petite auto de « MAROC » où j’ai pris place.

Ils passent dans Séron qui dort toujours, traversent Morlaàs où le marchand de journaux curieux a fini par aller se coucher et où le facteur bavard s’est lassé d’attendre. Tout est désert. Nous filons vers le bois de « Lacassagne ». Les « containers » sont déchargés et placés provisoirement dans une vieille baraque en planches repérée depuis longtemps.

Les parachutes sont distribués aux hommes de l’équipe : ils feront ces cravates, ces pochettes, ces chemises, ou rouges ou blanches ou bleues, que nos équipes arboreront fièrement le jour de la Libération, obligés qu’ils ont été de les camoufler pendant l’occupation car, tout détenteur de parachute, pris par les Allemands, était fusillé sur le champ.

Il est trois heures.

Le travail essentiel est terminé. Nous sommes heureux d’avoir réussi. Nous nous souhaitons une bonne fin de nuit, des mains se serrent, et c’est le retour silencieux vers nos demeures.

Demain, tout en restant à l’écoute des messages pour de prochains parachutages, j’irai inventorier le matériel reçu avec le lieutenant « MAROC » et l’ami GUATARBES.

Quel trésor ! Des explosifs, le fameux plastic anglais, joie des équipes de destructions, des pétards pour sabotage des voies ferrées et enfin et surtout des mitraillettes « Sten », un peu rustiques mais efficaces, des mitrailleuses légères américaines qui ne pèsent que 13 kilos et qui sont de véritables bijoux, des mousquetons, des munitions et jusqu’à de vieux pantalons ayant servi aux emballages et qui cacheront les fesses indécentes de nos maquisards. Ce n’est pas du luxe mais il ne faut pas être exigeant.

Ensuite, ce seront les distributions individuelles des armes dans la nuit, leur transport par Pau vers les vallées d’Aspe et d’Ossau.

Nuits exaltantes !

Malgré le danger couru, malgré la fatigue endurée, ces nuits de parachutage compteront parmi les plus belles de notre vie et notre cœur palpitera lorsque, plus tard, nous les évoquerons aux veillées de la Résistance.

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Informations complémentaires:

  1. Dans la brochure « Flach (Marcelle), La Résistance à Pau (Bas.-Pyr.) – Le Passage des Pyrénées, Imprimerie commerciale, Pau, 1945, 64p » est publié page 34 n article titré « Un Parachutage » signé Poudampa qui correspond à quelques mots près à celui reproduit ci-dessus et issus des carnets de Firmin Poudampa. Cet indice laisse à penser que les carnets de Firmin Poudampa auraient écrits peu de temps après la Libération.
  2. Le parachutage évoqué par Firmin Poudampa est mentionné par L. Poullenot pages 210 – 211. Il s’agit vraisemblablement de celui du 22 juin 1944, le seul des 5 effectués à Ponson-Dessus qui fut annoncé par le message « C’est la Romance de Paris »                                                Ref:  Poullenot (Louis), Basses Pyrénées, Occupation, Libération, 1940-1945, J&D Editions, Biarritz, 1995, 366 p.

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