Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LE CAMP DE GURS DÉCRIT PAR PARIS-SOIR (20 août 1942).

Le quotidien national Paris-Soir est, à l’époque de Vichy, le principal journal paraissant en territoire français.

Il n’a jamais donné la moindre information sur le camp de Gurs, sauf dans son numéro du 20 août 1942. A cette date, son envoyée spéciale, Marie Sabathé, fait publier l’article ci-dessous, intitulé « Les Juifs dans les Pyrénées. Ce qui se passe au camp de Gurs ». Cet article est révélateur de l’état d’esprit de la presse de Vichy sur la question juive en France non-occupée.

 

Rappelons les circonstances.

A cette époque le régime de Vichy est entré dans sa phase de collaboration active avec l’occupant nazi. Laval vient solennellement de déclarer « je souhaite la victoire de l’Allemagne » (22 juin 1942). Le pays est toujours coupé en deux par la ligne de démarcation. La répression allemande et vichyste commence à s’abattre cruellement sur les résistants. Les premières déportations de juifs « vers une destination inconnue » ont débuté dans les camps de la zone occupée comme dans la zone non-occupée, et notamment à Gurs, les 6 et 8 août 1942 (1 210 hommes, femmes et enfants dont les noms figurent dans la documentation du camp conservée aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, à Pau). La collaboration touche désormais tous les secteurs : la propagande, l’économie, la main d’œuvre, le mur de l’Atlantique, la pensée, la culture et bien sûr, la presse.

  Paris-soir profite des circonstances pour publier un violent article

reproduit ci-après.

 

 

 

  LES JUIFS DANS LES PYRÉNÉES

 Ce qui se passe au camp de Gurs

 Ce qu’on entend dans une église de village

 (de notre envoyée spéciale Marie Sabathé)

 

« Navarrenx. Août 1942

« J’ai tellement entendu parler du camp de Gurs depuis que je suis dans la région qu’en enfourchant ma mobylette je suis venue roder dans ce lieu d’internement fâcheusement célèbre.

« On sait qu’au temps du Front populaire et de la guerre civile espagnole, Gurs avait été choisi pour accueillir les hordes rouges qui venaient se réfugier en France. Le pays a gardé un souvenir coléreux de ces hôtes indésirables : sortant du camp comme ils voulaient, ils se répandaient dans la campagne, s’y livraient à toutes sortes de rapines et terrorisaient les paysans dont les fermes avaient le tort d’être isolées.

« Après les rouges, il y eut des étrangers suspects. Enfin, lorsque la guerre fut déclarée à l’Allemagne, on y mit pêle-mêle des ressortissants de ce pays et pas mal de sujets à la nationalité vague, rassemblés à Paris principalement. On y mit aussi d’authentiques Français obstinés à rester pacifistes, désignés par leur attitude courageuse à la vengeance des Daladier, Reynaud, Mendel et autres maîtres de l’heure.¹

« Après l’armistice, les Allemands s’empressèrent d’exiger la mise en liberté de leurs résidents internés à Gurs et les habitants de la région pensèrent que le camp serait désaffecté.

« Las, les malheureux ne se doutaient pas de ce qui les attendait. On a mis à Gurs ce qu’il y a de moins reluisant dans l’espèce humaine : les Juifs. Et quels Juifs ! Comme ils viennent tous de la ne non-occupée, ceux qui ont honte des camps, les juifs argentés, « relationnés », sont tranquillement installés dans des palaces ou de somptueuses villas. On juge de la qualité de ceux que les policiers ont entassés derrière les barbelés. Les juifs de Gurs ne sont pas la crème de la race mais ils ont tout de même mes moyens, puisqu’ils ont réussi à faire monter les prix de la vie, dans le triangle Navarrenx-Oloron-Lucq de Béarn d’une irrésistible et scandaleuse façon. Leur présence ici a eu sur les mœurs rurales le même effet désastreux que celui produit par l’invasion de leurs congénères très distingués sur la vie des riverains de la Méditerranée : on ne pense  plus à la vertu du travail, au commerce honnête, à tout ce qui est propre et probe ; on ne pense qu’à profiter. Le troc se pratique sur une échelle gigantesque et le marché noir se tient aux alentours du camp.²

« Les internés sortent quand ils veulent.

« Car peut-être vous figurez-vous, bonnes gens, que les Juifs de Gurs sont réellement prisonniers dans leurs cantonnements entourés de fil de fer rouillé. Cette rigueur était bonne pour les journalistes de Je suis partout³. Elle ne saurait être appliquée aux échappés des geôles de l’Europe centrale. Les « internés » ont le droit de sortir quand ils veulent : à la condition de rentrer le soir. Ils peuvent passer la journée où bon leur semble. Alors où voulez-vous qu’ils la passent ? A faire du commerce naturellement, c’est-à-dire du marché noir. C’est pourquoi dans un rayon de 20 kilomètres, vous ne trouverez pas un jambon à moins de 400 francs le kilo ni un œuf au-dessous de 15 francs.

« Je me suis indignée de cette incohérence de l’administration.

« – Que voulez-vous, m’a dit un naturel du pays, les « pôvres » s’ennuient dans leur camp. Ils ont fini par devenir mauvais, si bien qu’ils se sont disputés, battus et même un peu tués à coups de couteau et de revolver. C’est pour empêcher les bagarres qu’on leur permet d’aller se promener.

« Les pôvres ! ». En prononçant ces mots, le Béarnais souriait et dans son œil brillait une malice.

« Comme  je doutais des chiffres entendus, il appuya. Mais Madame, dans ce marché, un jambon vaut aujourd’hui trois mille francs et je vous défie de trouver à moins de cent cinquante francs une tranche de fromage du pays que vous auriez eue naguère pour cent sous. C’est qu’ils achètent par quantité énorme et à n’importe quel prix. Pas seulement pour eux, mais aussi pour leurs amis et correspondants de Pau, de Marseille et même de Paris.

« Quelqu’un qui écoutait ce fait, à son tour : « moi, j’ai vu vendre au village de Gurs, un œuf pour cent francs. » C’est vrai, mais il s’agissait d’un jeu que s’était offert, peut-être par rage ou vengeance, un paysan de l’endroit. Le Juif avait envie d’œufs et le paysan ne voulait pas lui en vendre. Ainsi s’était conclu le monstrueux marché.

Poursuivant mon enquête, j’ai découvert sans peine que toute la région était gangrenée par  le camp de Gurs. Mais pourquoi les internés bénéficient-ils de cette facilité de circulation ? Pourquoi met-on tant d’argent à leur disposition ? Pourquoi vendent-ils ainsi en dépit des règlements ?

« Que font leurs gardiens ? Leurs gardiens ? Quand on parle d’eux, les gens vous considèrent avec pitié et ne se gênent pas pour vous répondre qu’on voit bien que vous arrivez de la zone occupée. Mais, ils commencent à réfléchir et sont bien prêts de se fâcher.

« Car la question s’est démesurément déplacée. Dans un village, dimanche dernier, à l’église,  j’ai entendu un singulier sermon. Un jeune prêtre, étranger d’ailleurs à la paroisse, a prononcé en chaire un sermon défendant les Juifs⁴. Un tel langage dans ce lieu m’a suffoquée. Il a profondément indisposé les fidèles présents car ceux de la région ont déjà payé pour connaitre le Juif.

« A la sortie de la messe, surviennent une demi-douzaine de ces héros nouveaux venus, devant l’église. Les hommes, des jeunes, sont en short extravagant, les femmes en robes décolletées. Ces tenues légères, indécentes, suscitent de la part des gens du village des commentaires indignés. Ceux qui ont entendu à l’église le sermon du prêtre affairiste ne sont pas les moins enclins à la colère. Et cela me montre que le paysan lui-même a fini par comprendre⁵².

« Espérons qu’à son tour le gouvernement comprendra et agira. »

¹ Au même moment,  Daladier, Reynaud et « Mendel » (sic) », ainsi que Gamelin et Léon Blum, sont enfermés au fort du Portalet, à quelques dizaines de kilomètres de Gurs.

 

² C’est le véritable objet de l’article : montrer que les juifs réfugiés dans le département ou internés au camp sont les vrais responsables de tout le marché noir sévissant dans la région. Toutes les informations suivantes sont assénées au premier degré, sans jamais la moindre précision vérifiable.

Faut-il rappeler qu’au même moment, les juifs de Gurs et d’Eaux-Bonnes sont les premières victimes de la faim et du marché noir ? Plus que tout autre partie de la population, ils sont les victimes du marché noir, et seulement dans la mesure où ils peuvent avoir aux marchés hebdomadaires des villages environnants.

Par ailleurs, les informations sur Gurs (« Les internés sortent quand ils veulent », « Ils peuvent passer la journée où bon leur semble », « C’est pour empêcher les bagarres qu’on leur permet d’aller se promener », etc. sont toutes des contre-vérités.

 

³ Allusion aux journalistes de Je suis partout, Charles Lesca, Alain Laubreaux et Serpielle de Gobineau, qui ont été internés au camp en mai 1940 avec les internés politiques venus de la prison de la Santé. Il leur était reproché leur propagande pro nazie alors que leur pays était en guerre avec l’Allemagne nazie.

 

Comment faut-il interpréter ce passage (aucune date ni lieu) ? Précisons seulement qu’aucune lettre pastorale de Mgr Vansteenberghe, évêque de Bayonne et de Lescar, n’a été adressée en ce sens aux prêtres de son diocèse. Par ailleurs, la fameuse lettre  pastorale de Mgr Salièges, évêque de Toulouse, (« Les juifs sont des hommes ») date du 23 août.

⁵ La paysannerie est considérée par Vichy comme « la partie saine de la société ». C’est pourquoi la journaliste vante ici leurs mérites. Mais en même temps, elle ne peut s’empêcher de manifester du mépris vis-à-vis d’eux, les trouvant très lents à « comprendre ».

 

Référence de l’archive CDJC:  CCXIV-36a_001

Pour y accéder: cliquer ici.

 

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