Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Résistance au Pays Basque.30: LE RÉSEAU DU DR EDMOND SPERABER.

LE RÉSEAU DU DR EDMOND SPERABER, LE PÈRE TRANQUILLE DE LA RÉSISTANCE BAYONNAISE.

 

Benoit LAULHE – La Résistance au Pays Basque – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°30.

 

 

LE RÉSEAU DU DR EDMOND SPERABER, LE PÈRE TRANQUILLE DE LA RÉSISTANCE BAYONNAISE.

          Résistant méconnu de la «première heure», le docteur Edmond Speraber, malgré ses airs de discret et frêle praticien de province, représente au Pays basque l’un très importants agents d’espionnage et d’évasion, mais aussi un incontournable leader de la résistance du grand Sud-Ouest.

          Si le grand public imagine souvent les résistants comme des aventuriers ou des baroudeurs habitués à vivre clandestinement et cherchant l’affrontement avec l’ennemi, la réalité est souvent tout autre. Les opposants aux nazis peuvent en effet être des personnages illustres ou de parfaits anonymes, « ordinaires » et calmes, issus de toutes les classes sociales.

          Répondant parfaitement à ce premier caractère, le docteur Speraber donne en effet l’apparence sur la côte basque d’un homme discret et apprécié de ses patients comme du reste des habitants de Ciboure et de Saint-Jean-de-Luz. Pourtant, derrière ses airs de bon chef de famille, se cache l’un des plus redoutables et recherchés agents de renseignements de la résistance du grand Sud-Ouest de la France.

          Né en 1885 en Algérie, d’un père officier de carrière et d’une mère landaise, le jeune Edmond Speraber suit très rapidement les traces du chef de famille en entrant dans l’armée. Ayant obtenu en 1906 une mise en disponibilité pour pouvoir réaliser des études de médecine à la faculté de Lille, il décroche son diplôme en 1911. L’année suivante, il s’installe à Ciboure au Pays basque où il exerce jusqu’à la déclaration de guerre en tant que généraliste. Sa disponibilité, sa discrétion et sa gentillesse le placent rapidement comme l’un des personnages les plus respectables de la région.

          Mobilisé en 1914 au 249° Régiment d’Infanterie et en 1939 en tant que médecin capitaine, il acquiert pendant les deux conflits une très grande notoriété, plusieurs décorations venant honorer son engagement sur les différents théâtres d’opération. Cependant, redevenu un simple généraliste exerçant à St-Jean-de-Luz après sa démobilisation en août 1940, le docteur Speraber, à cinquante -cinq ans, s’engage dans une nouvelle aventure qui le transforme peu à peu en un personnage secret mais aussi incontournable sur la côte basque.

          L’origine de cette transformation remonte à juin 1940. A cette époque, il travaille à l’hôpital de Lourdes où il soigne des officiers et des soldats blessés après avoir lutté contre les Allemands jusqu’à l’armistice et parfois au-delà. C’est au contact de ces « premiers résistants » que le docteur Speraber comprend et réalise la nécessité de «refuser la défaite »2 et de continuer le combat.

          De retour dans les Basses-Pyrénées, il multiplie les actions, souvent isolées, maladroites ou risquées et les marques d’hostilité à l’égard de l’occupant. Progressivement il rentre ainsi dans ce monde clos et clandestin de la résistance dont il devient bientôt un pilier. Toutefois, une première alerte, le 17 avril 1941, lui fait prendre conscience des dangers d’un tel engagement. Convoqué au commissariat de police de Saint-Jean-de-Luz, il est interrogé et accusé « d’atteinte à la sûreté de l’état et de propagande gaulliste antinationale »3. Ses relations et ses contacts auprès des policiers luziens le feront malgré tout sortir sans ennui, cet avertissement faisant office de mise en garde.

          A partir de ce moment, ce Basque d’adoption fait tout pour se donner une image de «père tranquille», discret et désintéressé des questions politiques et militaires. Son action dans la résistance se poursuit dans une totale discrétion et dans le cadre d’organisations ou de relations plus structurées et plus sûres.

          Son parcours dans cette lutte est notamment lié à celui d’une autre grande résistante : Kattalin Aguirre. De leur collaboration, naît tout un système d’action et d’assistance aux évadés, aux agents de la résistance et à toute personne voulant fuir les nazis. Ainsi, chaque fois qu’un aviateur, un officier ou une personne prise en charge par un quelconque réseau d’évasion vers l’Espagne, est malade ou se blesse, nous retrouvons le docteur Speraber qui, présent pour tout problème, devient peu à peu et naturellement un membre actif de plusieurs réseaux, les plus importants et les plus exigeants se nommant Comète et Margot.

          Pourtant, si jusque-là son rôle s’est surtout limité à celui d’intermédiaire, en janvier 1943 la situation change. A cette époque, il cache et soigne pendant plusieurs jours, chez l’une de ses patientes un agent du B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignement et d’Action), blessé et traqué par la Feldgendarmerie. Après avoir fait passer ce dernier en Espagne grâce au guide Patchi, il se voit confier une mission pour un responsable toulousain qui le fait, par la suite, entrer dans le réseau de renseignement franco-américain Nana pour lequel travaillent déjà Kattalin Aguirre et Gracie Ladouce. Membre actif de ce réseau, le Luzien s’engage également, peu de temps après (en avril 1943), dans une autre très importante organisation française dans laquelle il devient bientôt un cadre important : la  Base Espagne. Sollicité par le colonel Richard, qui dirige le réseau de renseignement rattaché au B.C.R.A. français Démocratie (sous le pseudonyme de Dominiché), le docteur Speraber se voit charger de la mission de créer sur la côte basque le sous réseau Mécano dont il assure la direction sous le nom de code «le bicot » . Fournissant de nombreux et importants renseignements militaires par ce biais à la Base Espagne, il s’attache également à approvisionner diverses structures résistantes en faux papiers grâce à la complicité de plusieurs contacts dans les mairies de Saint-Jean-de-Luz, Ciboure, Ascain et Guétary.

          Devenu incontournable dans la zone basque du département, le docteur multiplie les actions et les responsabilités. Au début de juin 1944, c’est son ami le commandant Passicot , chef de l’Armée Secrète (A.S.), obligé de disparaître pour échapper à la Gestapo, qui vient frapper à sa porte. Après lui avoir trouvé une cachette et une nouvelle            « couverture »,  Speraber, profitant de ses facilités de circulation, assure une partie des anciennes tâches de son camarade. L’une d’entre elles consiste à assurer les liaisons entre l’A.S. et le responsable général des Mouvements Unis de la Résistance (MUR) de la côte basque, Pierre Fort. Cette mission est particulièrement risquée du fait de la surveillance de ce dernier et de la tension qui règne dans les rangs de l’armée allemande avec la recrudescence des actions de la résistance.

          Malgré le danger, Edmond Speraber s’implique donc de plus en plus dans les réseaux de renseignement et d’action. L’une de ses opérations les plus connues consiste à relever et à cartographier avec beaucoup de précision, les forces, les positions et les défenses ennemies présentes sur la côte et à faire parvenir ces informations à un sous-marin britannique venu croiser au large de Saint-Jean-de-Luz. Il s’illustre également en organisant de nombreuses évasions vers l’Espagne, mais surtout à l’approche de la libération, en s’imposant comme un leader, fort de multiples expériences qui sont utiles aux mouvements en pleine expansion et aux services alliés cherchant des contacts sûrs dans la région.

          Homme à tout faire de l’armée de l’ombre, redoutable espion et très influent chef de réseau, ce Basque de petite taille, vif, traverse le conflit malgré ses multiples responsabilités et ses nombreuses actions, sans grandes alertes, peu de personnes à cette époque ayant soupçonné ce tranquille généraliste d’être un très efficace et impliqué agent de la résistance.

          Grande figure de la libération, il reste toutefois durant cette période d’euphorie comme il est durant toute l’occupation, très discret, les premiers honneurs n’arrivant qu’à partir de mars 1945, avec la remise de la croix de guerre avec palme (en compagnie de ses camarades de lutte Kattalin Aguirre et Gracie Ladouce), puis de la médaille militaire, la croix des combattants volontaires, la légion d’honneur ainsi que plusieurs autres décorations alliées (parmi lesquelles figurent les Medails of Freedom américaines et britanniques).

          D’apparence innocente et fragile, le docteur Edmond Speraber est donc durant la seconde guerre mondiale l’un des héros  les plus méconnus, mais aussi les plus actifs de la résistance basque. Combattant de la première heure, par son action de terrain, son investissement dans les réseaux de renseignement ou d’évasion et par son rôle au moment de la libération, il sait ainsi prouver que tout un chacun peut à sa manière et à son niveau lutter contre l’occupant, la lutte pouvant se mener sans armes et au quotidien.

 

 

1 Crouzet Jean. Le docteur Speraber, La semaine du Pays basque, septembre 1994

2  Idem

3  Crouzet Jean, ancien Evadé de France et combattant des Forces françaises libres, Biarritz, Archives privées.

 

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