Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.22: UNE ÉVASION MANQUÉE, RENÉ VIGNAU-LOUSTAU

 

UNE ÉVASION MANQUÉE: L’ÉCHEC DE RENÉ VIGNAU-LOUSTAU.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°22.

 

 

UNE ÉVASION MANQUÉE: L’ÉCHEC DE RENÉ VIGNAU-LOUSTAU.

          Etudier l’histoire de l’évasion des réfractaires à l’ordre nazi par les Basses-Pyrénées durant la Seconde guerre mondiale nécessite souvent d’adopter une méthode basée sur l’analyse d’exemples, de récits d’anciens fugitifs et d’anecdotes de témoins.

          Le cas du Nayais René Vignau- Loustau, requis au Service du travail obligatoire en 1943, est pour cela tout à fait représentatif de ces jeunes français qui, pour éviter la déportation en Allemagne, préfèrent tenter leur chance en montagne. Connaissant de nombreuses frayeurs lors des contrôles de police ou des recherches de passeurs, il éprouve toutes les souffrances d’une traversée des Pyrénées en hiver pour finir arrêté et déporté par les Allemands à cause d’une trahison.

          Si l’histoire des «évadés de France» durant le second conflit mondial est souvent associée au mythe de la France combattante et résistante, il reste que la traversée des Pyrénées en pleine occupation représente, pour les différents candidats, une véritable aventure humaine avec ses joies, ses peines, ses réussites et ses souffrances. Chaque évasion ayant sa propre histoire, il peut être alors intéressant d’observer et d’analyser l’expérience d’un de ces anciens «fugitifs», René Vignau-Loustau. Le récit de son périple est d’autant plus enrichissant qu’il est tragique.

          Expert-comptable stagiaire pendant la guerre, René Vignau-Loustau apprend en mars 1943 par une amie employée à la mairie de Tarbes, qu’il est requis à partir du mois d’avril pour le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) en Allemagne. Résistant et patriote «dans l’âme», ce Nayais d’origine décide rapidement de se soustraire à cette obligation et de tenter sa chance en Espagne, puis en Afrique du Nord dans les Forces Françaises Libres (F.F.L.).

          Toutefois, ne connaissant rien, ni personne dans les milieux clandestins montagnards, il est contraint, comme énormément de jeunes Français à l’époque, de demander, au hasard des rencontres, des renseignements sur ces activités. Peu de temps après, il a la chance, dans le cadre de son travail, de rencontrer une jeune fille originaire de la vallée d’Aspe (de Sarrance), dont l’oncle organise des passages vers l’Espagne. Un complément d’information et des garanties sur ce passeur ayant été acquis, René Vignau-Loustau se décide rapidement, après accord de ses parents (il a vingt-trois ans), à tenter l’aventure.

           La première difficulté de son périple consiste à rejoindre son contact au cœur de la zone interdite. Pour cela, il monte le 15 mars 1943 dans un train qui l’emmène de Tarbes à Pau, puis de la capitale béarnaise à Sarrance. Cependant, entre la préfecture et Oloron, une première alerte lui fait réaliser à quels dangers il s’expose et dans quelle aventure il s’engage. Lors d’un banal contrôle de police, un inspecteur allemand s’arrête devant lui et se met à le questionner sur sa destination, ses contacts, le but de son voyage… Face à un tel acharnement, sûrement accusateur, Vignau-Loustau résiste à la pression, réussit à garder son calme et à passer avec succès cette première épreuve.

          Arrivé à Sarrance, une autre difficulté l’attend. Sa lettre de recommandation à la main, il se présente dans l’épicerie qui lui a été indiquée quelques semaines auparavant et dans laquelle un contact doit l’orienter vers un passeur. Là, surprise, la commerçante nie d’abord tout rapport avec ce genre de pratique, puis avoue dans un second temps, qu’elle ne peut s’occuper de son passage, les Allemands surveillant particulièrement la région et les guides. Toutefois, face à la détresse du candidat à l’évasion, elle consent à lui donner le nom d’un passeur qui peut probablement le conduire en Espagne.

          Ce dernier rencontré, une hésitation et un mauvais pressentiment s’emparent de Vignau-Loustau. Résigné, il accepte, malgré tout, les conditions du berger (attente de la constitution du convoi d’au moins six personnes, dix mille francs de rémunération, voyage sur trois jours avec deux guides) et patiente deux jours chez celui-ci.

          Le 28 mars, les candidats étant réunis, le convoi peut donc s’élancer. Il est censé gagner lors d’une première étape, une grange en altitude, entre Osse et Lées-Athas, où doit attendre le second guide. Gelés par le vent et la pluie, épuisés par l’ascension, les fugitifs ne peuvent, une fois arrivés au sommet, que se reposer brièvement.

          Au lever du jour du 29 mars, le second passeur arrive. Son premier souci est de se faire payer immédiatement, ce qui pose problème au plus jeune des évadés (dix-huit ans seulement). Ce dernier n’a en effet plus d’argent pour la seconde partie du voyage, les différents frais de transport du premier guide étant venus à bout de ses économies. Face à l’intransigeance de l’Aspois, les autres fugitifs se cotisent pour payer la «liberté» du cadet.

          Si l’étape entre Sarrance et Osse est difficile, celle qui mène jusqu’en Espagne est un véritable calvaire. Malgré d’importantes ascensions, de pénibles secteurs enneigés et un équipement des plus inadaptés (le jeune de dix-huit ans a des chaussures basses et légères), la caravane parvient au prix d’intenses efforts à franchir le secteur du pic d’Anie et de la Pierre-Saint-Martin Les évadés arrivent alors, sur un plateau d’où ils peuvent distinguer au loin un clocher et un village espagnol que le guide baptise Isaba.

          Prétextant alors devoir partir à cause du retard accumulé depuis le départ, celui-ci abandonne ses protégés avec quelques vagues consignes et de rassurantes indications. Livrés à eux même, les six Français parviennent, malgré quelques errements, à atteindre le bois précédant le village. De là, ils s’élancent, par groupes de deux vers le centre de ce bourg par un petit sentier bordé de rochers.

          Cependant, à quelques centaines de mètres de l’objectif, plusieurs coups de feu éclatent et touchent quatre fugitifs. Indemne, René Vignau-Loustau se couche par terre mais réalise rapidement la gravité de la situation : bloqué par les rochers, sous le feu de l’ennemi, le convoi est tombé dans un guet-apens !

  Prisonnier, il est emmené avec les blessés dans le village et enfermé par les Allemands dans une maison proche de l’église. Là, la visite d’un prêtre lui fait prendre conscience du piège dans lequel il est tombé : se croyant à Isaba en Espagne, Vignau-Loustau et ses camarades se trouvent en réalité à Sainte Engrâce en Soûle, à plusieurs dizaines de kilomètres de la frontière. Vendus par le passeur, les évadés se sont jetés sans méfiance dans l’embuscade allemande. Les allemands, sans doute prévenus, ont choisi un endroit sans possibilité de repli ou de fuite.

          Captif des Allemands, Vignau-Loustau connaît alors toutes les étapes qui « mènent à l’enfer1» : du siège de la Gestapo, dans la villa Briol d’Oloron, avec ses interrogatoires musclés, aux camps de transit de Bordeaux et de Compiègne pour enfin se retrouver dans un wagon à bestiaux qui le conduit dans le camp de la mort de Sachsenhausen.             Concentrationnaire pendant plus de deux ans, il survit malgré tout aux privations, aux tortures et aux épidémies et réussit à revenir en Béarn en 1945.

          Illustrant parfaitement ce que peut être l’évasion de beaucoup de Français pendant la seconde guerre mondiale, cette histoire, nous a donc permis d’observer les facteurs et les motivations qui poussent un réfractaire au S.T.O. à se transformer en fugitif, mais aussi les difficultés et les épreuves (train, recherche d’un passeur, ascension,  trahison…) qu’il a à rencontrer dans son périple.

          Tragique par son aboutissement, mais représentative par la description de la progression et des craintes qui mènent un simple opposant aux portes de l’Espagne, cette tentative de passage doit donc être vue, au-delà d’une simple aventure humaine et d’un témoignage d’une époque, comme un symbole de résistance par le refus de l’occupant mais aussi par le choix du départ.

1  Giannerini P-L. Mémoires de guerre des béarnais sur tous les fronts, 1939-1945, Pau, éditions de la Maison du Patrimoine, 1995,   244 p.

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