Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.18: BREF HISTORIQUE DU RÉSEAU COMÈTE.

 

LE RÉSEAU COMÈTE: BREF HISTORIQUE.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°18.

 

 

LE RÉSEAU COMÈTE: BREF HISTORIQUE.

         Modèle de création et d’organisation, le réseau Comète, en ce début d’année 1941, se lance dans l’aventure de l’évacuation d’aviateurs alliés à travers l’Europe. Si ses premiers passages s’effectuent sans gros problèmes, après quelques mois d’activité, plusieurs arrestations aux rangs desquelles figurent celles de la fondatrice Andrée de Jongh et de nombreux cadres, handicapent et remettent sérieusement en question l’existence de la ligne.

        Cependant, ce système étant conçu de manière à ce qu’aucun événement, ni aucune perte ne le bloque, il renaît de ses cendres pour lutter d’une manière encore plus efficace, malgré les drames qui se répètent à l’approche de la Libération.

        « Enfant » de la jeune et déterminée Andrée de Jongh, le, réseau « international » Comète réalise à la fin de l’année 1941 les premiers actes d’une longue série d’opérations qui font de cette organisation une véritable légende dans le monde des passeurs et de la résistance.

         Si sa conception et sa mise en place laissent présager d’une brillante et longue activité, les premiers mois d’existence sont marqués par plusieurs vagues d’arrestations qui handicapent et ralentissent l’évacuation des « naufragés alliés ». A partir de l’hiver 1942, nous  pouvons ainsi relever un certain nombre d’opérations allemandes (6 février, 6 mai, 11 août, 20 novembre…) qui frappent et déciment les rangs du mouvement. Tragiques et lourdes de conséquences, celles du printemps sont particulièrement importantes puisqu’elles entraînent la perte d’importants cadres du réseau (Suzanne de Jongh, Charlie Morelle ainsi que plusieurs autres agents). Toutefois, les menaces de cette période ne semblent concerner que les zones Nord de la ligne. La partie Sud (principalement le Pays basque) poursuit donc presque normalement ses traversées suivant les plans prévus et sans difficultés notables.

        Pourtant, si les passages dans cette partie de la Dédée line se déroulent sans trop de problèmes et à une fréquence assez régulière durant l’année 1942, les premières semaines de 1943 sont marquées dans ce secteur par une série de coups durs et par une période difficile pour tout le réseau. Le 15 janvier, un premier drame s’opère avec la capture par la Gestapo, d’Andrée de Jongh, et d’un groupe d’aviateurs et des occupants de la ferme relais Bidegain-Berri à Urrugne (près de la frontière). Cette perte d’un des plus importants cadres du mouvement désorganise entièrement le restant du réseau et amène plusieurs autres interpellations ou démantèlement de groupes dans toute l’Europe : A Bruxelles par exemple, le centre opérationnel « la cantine suédoise » tombe le 8 février. A Bayonne, la famille Dassié est arrêtée le 11 mars, alors qu’à Elizondo en Espagne, M Aracama (contact des services britanniques) est emprisonné…

          Remise un temps en cause par la perte de sa «mère» et par des résultats relativement modestes par rapport aux dangers encourus et aux moyens investis, la ligne parvient malgré tout à surmonter ces crises et à relancer son activité. Cette force de renaître et cette dynamique naturelle dans l’épreuve restent les marques et les héritages de cette résistante hors du commun qu’est Andrée de Jongh. Par son travail, son charisme et sa rigueur, elle permet ainsi à son système de lui survivre et de perdurer quels que soit les événements et le contexte.

         Cependant, si cette période est avant tout marquée par un profond bouleversement au niveau de la hiérarchie et du mode de fonctionnement de la chaîne, une véritable renaissance s’opère également sur le terrain, principalement à travers la recrudescence des sollicitations. Les alliés intensifiant en effet durant cette année 1943 leurs raids sur l’Allemagne et le nord de l’Europe, le nombre de pilotes abattus qui cherchent à fuir les camps nazis augmente considérablement. Quintuplant en conséquence le nombre de ses passages, le réseau Comète entre donc en ce début d’année 1943 dans une nouvelle phase qui le mène à son apogée en fin d’année.

           Au niveau de la structure même du mouvement, une mutation liée à l’après « Petit Cyclone »2 s’engage par ailleurs au sommet de la structure. Dès le 15 février, l’un de ses plus proches collaborateurs, Jean François Nothomb (alias Franco), prend la tête de l’organisation et teste une nouvelle ligne par Bidarray. Jugée insuffisamment sûre, elle est rapidement abandonnée pour un nouveau projet que Pierre Elhorga établit en direction d’Espelette. Après reconnaissance et validation, elle est intégrée dans la chaîne et pratiquée par quatre nouveaux guides (Pierre Etchegoyen, Jean Elizondo et les frères Jean et Joseph Aguerre) qui opèrent à partir du centre de réception et d’hébergement installé à Anglet Sutar (autour de l’école que dirige Marie Elhorga) et de l’auberge Larre tenue par Marthe Mendiharat (les déplacements entre les différents points relais et les intermédiaires s’effectuant à bicyclette). L’ancienne et tragique ligne d’Urrugne est pendant ce temps mise en sommeil en attendant la reprise de son activité quelques semaines plus tard.

          Les deux voies fonctionnent ainsi en parallèle et en complémentarité sur la zone basque jusqu’à la fin de la guerre. Celle de Saint-Jean-de-Luz voit toutefois son trafic baisser au profit de la zone intérieure au printemps 1943 – 1944. Cela peut s’expliquer en partie par la création fin février 1943 par l’incontournable Pierre Elhorga (à la demande de Franco), d’une troisième ligne qui passe par Souraïde, avec Juanito Bidegain de Bassussary comme guide et Michel Etchevest comme passeur. De même, depuis l’arrestation d’Andrée de Jongh, de nouvelles dispositions sont également prises pour rejoindre Bayonne : les aviateurs doivent à présent changer le train à Bordeaux et gagner Dax en omnibus. Là, on leur confie des vélos avec lesquels ils rejoignent Bayonne accompagnés par Mlle ou Mme De Greef et Mlle Houget.

         Ainsi, au-delà de ces agents permanents et décisifs pour le bon fonctionnement de la structure, nous devons souligner l’engagement de toute une foule d’anonymes et d’intermédiaires qui facilitent son organisation et son action au quotidien (expédition des vélos et de courriers sur Dax par le cheminot Darbonens ou l’entretien et le convoyage de bicyclettes par le boulanger Garât d’Espelette à Sutar). Cette tâche, souvent symbolique et ingrate, reste en effet la base des systèmes d’évasion. Grâce à cette succession de dévouements, des hauts responsables aux collaborateurs occasionnels, Comète fonctionne ainsi en 1943-1944 à plein-régime. Les cadences de passage atteignent même dix à quinze pilotes évacués par semaine et par secteur fin 1943 selon Pierre Elhorga. Ce renouveau et cette refonte donnent donc à l’organisation un second souffle qui lui permet d’atteindre la libération avec un impressionnant bilan.

          Pourtant, entre temps, deux incidents majeurs affectent le secteur local de la ligne.

       Le premier se déroule le 23 décembre 1943. Ce jour-là, le guide Florentino Goïkoetxea étant malade, deux de ses amis assurent une mission et le passage d’évadés. Au moment de la traversée finale de la Bidassoa, (il est vrai grossie par les dernières pluies et par cela dangereuse), un important membre de la résistance partant en mission à Londres, le comte Antoine d’Ursel (Jacques Cartier dans la clandestinité), et l’aviateur américain Jim Burch, trébuchent dans un trou du lit et chutent au milieu du fleuve. Emportés par les forts courants, incapables de nager, les deux hommes ne peuvent rejoindre la rive où attendent les deux guides impuissants et se noient. Leurs corps, retrouvés le 27 sur la rive, sont exposés à titre d’exemple par les Allemands sous le porche de l’église de Biriatou.

          Toutefois, si les troupes d’occupations espèrent par cet acte dissuader les populations locales de porter assistance aux évadés, cette mesure provoque l’effet inverse à celui escompté, puisqu’en quelques heures les deux corps disparaissent sous un « linceul » de fleurs déposées par les habitants du village qui rendent ainsi un dernier hommage aux deux réfractaires et réaffirment leurs oppositions aux nazis.

          Le second intervient quelques temps après (le 6 juillet 1944) alors que la ligne a cessé de fonctionner. Ce jour-là, de retour d’Espagne avec du courrier, Florentino rencontre une patrouille allemande qui, à sa vue, ouvre le feu, le touche à la jambe et au dos. Immobilisé, il parvient toutefois à cacher les documents sous une pierre avant de se laisser glisser dans un trou où il est arrêté quelques instants après.

          Hospitalisé à Bayonne, la Gestapo ignorent encore tout du grand résistant qu’elle vient d’interpeller. Ce prisonnier représente en effet (malgré son anonymat provisoire) un véritable danger pour la résistance. Travaillant pour de nombreux mouvements, connaissant les plus importants agents secrets du Sud-Ouest de la France, il est donc pour Comète et les autres organisations, une très grande menace susceptible de faire tomber une partie des réseaux de l’armée de l’ombre si les nazis parviennent à le faire parler. Il devient vital et urgent de faire évader cet homme avant que les Allemands ne puissent l’utiliser.

          Toutefois, Comète ne disposant d’aucun groupe armé opérationnel, ses responsables doivent faire appel à M. Puyade,  ingénieur de la ville d’Anglet, et chef local du mouvement Libération Nord, qui contacte d’autres résistants de Biarritz (Delor et Lazeare). Une opération se monte alors autour de deux policiers biarrots, Antoine Lopez et Jules Artola qui se chargent de la constitution d’un commando. Son entrée en action est décidée pour le 2 juillet à midi. Ce jour-là, une camionnette conduite par M. de Greef se présente au portail de l’hôpital que Lopez fait ouvrir en présentant de faux papiers de la Gestapo.  Les faux nazis pénètrent alors à toute vitesse dans la salle commune de l’hospice, s’emparent sans ménagement du passeur et le placent sur un brancard afin de le conduire au camion qui démarre aussitôt et fonce à toute vitesse en direction de Cambo. Après plusieurs détours et changements de véhicules, le commando arrive à Biarritz où le blessé est débarqué rue de la Reine Nathalie, chez l’électricien membre du réseau Castille, Charles Gaumont. Il y est hébergé et soigné jusqu’au départ des Allemands le 24 août 1944 par le docteur Dulout,  lui aussi membre de ce mouvement et l’infirmière Mlle Navizet (résistante au réseau Marc France ).

          Exemple parfait de coopération entre les différents mouvements de résistance de la zone, cette opération montre dans un premier temps toute l’importance des passeurs dans la lutte contre les nazis, mais aussi leur polyvalence et leurs nombreuses sollicitations. Elle révèle également la place et le rôle essentiel que Florentino Goïkotxea tient sur la côte basque, dans la clandestinité et dans le monde du passage. Pour le sauvetage d’un seul homme, plus d’une dizaine de personnes ont, en effet, risqué leur vie dans une action téméraire et incertaine.

         De 1941 à 1944, le réseau Comète, avec ses mille sept cents collaborateurs, organise le sauvetage et le passage en Espagne de plus de sept cents aviateurs alliés et de nombreux agents secrets, de Hollande et de Belgique jusqu’au Pays basque pour les renvoyer à Londres par Gibraltar.

        Marqué par de nombreux drames, par des épopées et de grandioses personnalités, ce mouvement reste malgré ses lourdes pertes durant le conflit une référence et un exemple d’organisation, de sacrifice et d’efficacité, longtemps encore symbole des mouvements d’évasions dans les Basses-Pyrénées.

1 « Ligne Dédée » : surnom donné au réseau en hommage à sa fondatrice. De Aberasturi J-C-J. En passant la Bidassoa,  Biarritz,  J&D éditions, 1996, 183 p.

2 Nom affectueux donné à Andrée de Jongh par son père. De Aberasturi J-C-J. En passant la Bidassoa,  Biarritz,  J&D éditions, 1996, 183 p.

Désolé, les commentaires sont fermés pour cet article.