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LA MILICE DES BASSES-PYRÉNÉES (1943-1944). APERÇU SOMMAIRE.

LA MILICE DES BASSES-PYRÉNÉES (1943-1944). APERÇU SOMMAIRE.

 

 

 

 

 

Cet article a été publié dans:
 Vichy et la collaboration dans les Basses-Pyrénées, (Sous la direction de Laurent Jalabert et Stéphane Le Bras),
 Editions Cairn, 2015, p. 109-130.

LA MILICE DES BASSES-PYRÉNÉES  (1943-1944)  APERÇU SOMMAIRE

 

 

            Aborder un tel sujet, dans le temps dévolu à une communication présentée pendant une journée d’études, relève un peu de la gageure, puisqu’il mériterait une analyse détaillée, ce qui ne peut être le cas. En outre, ce thème demeure, encore aujourd’hui, mal connu, confidentiel, voire tabou. Il convient donc de concevoir cet exposé comme un rapport d’étape, incomplet et précisément daté, plutôt que comme une synthèse en forme de mise au point.

            La connaissance de la Milice sur le plan national a fait un grand progrès, ces derniers mois, avec la publication de l’ouvrage fondamental de Michèle Cointet (1). C’est heureux car, si l’on comptait bien une demi-douzaine d’études locales majeures (Valla, puis Chauvy sur Lyon,  Fageot sur Avignon, Estèbe sur Toulouse, Laurens sur l’Ariège, Germain sur la Haute-Savoie, etc.), les ouvrages de synthèse portant sur l’ensemble du pays étaient réduits à deux ou trois (2) Entre les uns et les autres, pas plus d’une dizaine d’études historiques, nombre  insignifiant si on le compare avec les centaines de livres et d’articles consacrés à l’Occupation, à la Résistance ou à la collaboration. Ces seuls chiffres suffisent à montrer combien le sujet a gardé, jusqu’à ces toutes dernières années, sa part d’obscurité au sein de l’historiographie du XXème siècle.

            Dans le cadre des Pyrénées-Atlantiques (les Basses-Pyrénées pendant la guerre), la situation est plus frappante encore, puisqu’on ne trouve à peu près rien. L’unique étude sur le sujet avait été entreprise vers 1955 par Honoré Baradat, figure majeure de la Résistance dans le département et correspondant départemental du Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale d’Henry Michel, mais elle n’a jamais été menée à son terme et les rares pages rédigées par l’auteur ont aujourd’hui disparu. Louis Poullenot, qui succéda en 1971 à Baradat au Comité d’histoire départemental et qui recueillit ses travaux de recherches, en a publié quelques extraits ; ils tiennent en quelques pages, concernent essentiellement la création du mouvement et, à vrai dire, n’offrent rien de vraiment consistant (3) Autant dire que le sujet est quasiment vierge et que tout reste encore à faire.

            Les archives départementales sont squelettiques, tant dans les Pyrénées-Atlantiques que dans les Landes : quelques liasses, à peine une dizaine, qui ont été, les unes comme les autres, notablement caviardées au moment de leur versement (4). Ajoutons que les archives communales, associatives ou privées, ne viennent pas compenser les lacunes des précédentes, qu’elles aussi, lorsqu’elles existent, ont été largement expurgées, quand elles n’ont pas été purement et simplement détruites. Il reste quelques archives familiales, que l’on redécouvre aux hasards d’un décès ou d’une rencontre, mais qui demeurent très ponctuelles (5).

            Le sujet apparaît donc difficile à appréhender. La documentation est quasi inexistante ; aucune recherche digne de ce nom n’a jamais été publiée ; aucun témoignage de milicien ne semble avoir jamais été recueilli ; les seuls témoignages directs sont des récits oraux d’anciens résistants, avec leur part inévitable d’émotion et de subjectivité, surtout lorsqu’ils interviennent plus d’un demi-siècle après les faits ; une sorte d’omerta généralisée plane sur le sujet, comme s’il était inconvenant de l’aborder, comme si la blessure était toujours ouverte et la souillure toujours intacte.

            Et pourtant, le thème de la Milice est bien présent dès qu’on évoque la collaboration dans le département. Innombrables sont les témoins, du moins se présentent-ils comme tels, qui ont une anecdote à raconter ou une vérité à rétablir, mais à la condition que ce soit « tout bas », qu’on « ne le répète pas » et qu’aucun nom ne soit cité. Du coup, le sujet suscite déformations et excès, voire fantasmes. Comment s’y retrouver, dans de telles conditions ?

            Un certain nombre de faits semblent cependant acquis, qui peuvent servir d’hypothèses de départ et orienteront notre problématique. La caractéristique fondamentale réside dans le fait qu’on ne retrouve pas dans le département des Basses-Pyrénées les excès sanglants qui ont caractérisé l’action de la Milice dans de nombreuses autres régions, par exemple à Lyon, à Nice, dans les Alpes ou dans l’Ariège. Les actes de tortures y sont rarement signalés, on n’observe aucune exécution sommaire, aucun assassinat avéré, aucun combat direct avec les résistants. Certes, les dénonciations à l’occupant sont fréquentes, avec leurs conséquences souvent mortelles ; certes les discours sont violents et les brutalités courantes ; certes les descentes des miliciens sont à juste titre redoutées et dévastatrices ; mais les exactions restent limitées. Les actes de guerre sont le fait de la Wehrmacht ou de la Gestapo, souvent sur indications de miliciens, mais pas de la Milice elle-même. On ne peut lui attribuer aucun enlèvement ou assassinat avéré. Elle ne joue pas le rôle central de force répressive que l’on peut observer par ailleurs.

            Incontestablement, il semble que le département des Basses-Pyrénées, dans chacune de ses deux entités administratives de l’époque, ait conservé une spécificité assez exceptionnelle pour la période.

Une organisation calquée sur le modèle établi par Darnand

            Dans ce domaine, la Milice des Basses-Pyrénées ne se signale pas par son originalité. Elle reprend jusque dans le détail les consignes fixées par son chef fondateur, comme dans les autres départements.

            La section « des Basses-Pyrénées et des Landes » est officiellement créée le dimanche 28 février 1943, soit un peu moins d’un mois après la fondation du mouvement (30 janvier 1943). Notons qu’entre ces deux dates, a été promulguée la loi créant le STO (13 février 1943), autre institution emblématique de la collaboration avec l’occupant. L’assemblée constitutive est réunie à Pau, au cinéma Le Béarn, proche de la préfecture, sous la présidence du préfet, en présence de 800 personnes environ, parmi lesquelles le secrétaire général de la préfecture, le sous-préfet d’Oloron, le maire de Pau, les présidents départementaux de la Légion française des combattants (LFC), du Parti populaire français (PPS), du Parti social français (PSF), de l’Action française, etc. L’officier des RG chargé de dresser le rapport de la réunion note néanmoins que « contrairement aux prévisions, cette assemblée n’a pas attiré tout le public escompté » et analyse «  les raisons de son faible succès » : l’arrestation récente d’Henri Saüt, président départemental de la LFC,  « la propagande étrangère  qui assure que la victoire des alliés est certaine et qui trouve un écho favorable dans le public », les rivalités internes au sein du PPF et les critiques qui circulent au sujet de son président, Henri Dabadie, nommé chef de la Milice départementale quatre jours auparavant (6).

            Malgré son appellation, la section ne rassemble alors que des militants originaires du Béarn et de Soule, c’est-à-dire des anciennes parties non occupées du département. Il faudra attendre plusieurs mois pour constater l’adhésion d’hommes provenant du sud des Landes. Quant à la partie occidentale du département, correspondant à l’ancienne zone occupée, elle se dote d’une organisation indépendante de celle de Pau. Elle est placée sous les ordres d’un chef spécifique, le lieutenant Arnaud Sorel de Neufchateau, possède un siège spécifique à Bayonne et rassemble une centaine d’adhérents. Neufchateau avait été auparavant l’adjoint de Dugé de Bernonville, commandant du camp de Taverny, et chef adjoint de la Milice de la Gironde aux côtés de Robert Franc. En Pays basque, il se plaint à plusieurs reprises, en raison de l’absence de tout véritable maquis, de n’avoir que des affaires de marché noir à traiter. Il y fut surtout le fidèle relais de l’occupant auprès des municipalités basques, surveillant l’exécution scrupuleuse des directives de la Wehrmacht, les affaires les plus graves étant traitées directement par la Gestapo.

            La réunion du 28 février à Pau se déroule selon un rituel immuable, intégralement reproduit dans les réunions ultérieures, lors de la création des sections locales. La séance est ouverte par le chant de l’hymne des miliciens, suivie d’un bref discours d’Henri Dabadie, chef de la milice départementale, suivie d’un long discours, toujours brillant, de Charles Lauzier, chef adjoint, et clôturée par une vibrante Marseillaise. Les sections locales sont ainsi créées à Oloron (cinéma Au loisir) le 20 mars, en présence de 250 personnes, à Mauléon le 22 mars (100 personnes), à Nay, au cinéma Variétés, le 29 avril (100 personnes) et à Aire-sur-Adour, fin avril (150 personnes). L’argumentation développée par Lauzier, lors de son intervention, est toujours la même ; elle repose sur quelques « vérités simples », qui peuvent être résumées ainsi :

« La France est en danger et seule l’unité nationale peut la sauver du bolchevisme. Comme aux heures les plus troubles de notre histoire, une faction terroriste exploite nos querelles pour fonder sa victoire sur les désordres d’une guerre civile. Mais contre le communisme aux ordres de l’étranger, il est désormais une force française, la Milice. (…) Que les bons démocrates-chrétiens, justement épris de justice sociale, se souviennent des étrangleurs de religieuses et des pilleurs d’église. A tous ceux-là, ainsi qu’aux libéraux qui ne veulent plus de la dictature rouge, aux paysans aimant leur pays, aux ouvriers, aux intellectuels, aux nationaux égarés, aux patriotes, la Milice fait appel. » (6)

En outre, la création de la Milice départementale est présentée comme la solution au problème posé par les insuffisances de la LFC, qualifiée d’ « impuissante à remplir le contrat qui lui avait été confié par le Maréchal ». L’action de la LFC sur le terrain étant jugée inconsistante, un autre organisme doit désormais prendre la relève, quitte à provoquer une émulation entre les deux organisations ou même au risque la disparition pure et simple de la première, les meilleurs éléments de l’une étant absorbés par l’autre. « Nous aurons donc deux organismes concurrents : l’un, la Milice, aux ordres du gouvernement par une besogne active de police et d’assainissement, et l’autre, la Légion, au service du Maréchal, pour une action plus obscure et certainement moins séduisante de propagande en faveur de l’unité nationale. » (7)

            Cette rivalité est intéressante car elle confirme le rôle résolument modéré (le terme est faible) de la LFC dans le département, sous la direction du commandant Henri Saüt. Ce rôle, fréquemment souligné par ailleurs (8), fut en quelque sorte fixé dès le départ, lorsque Henri Saüt fut élu à sa tête, avec le soutien d’officiers à la réputation héroïque, comme le commandant Georges Loustaunau-Lacau, pour éviter que des éléments violents ou extrémistes n’en prennent le contrôle. On retrouvera d’ailleurs ces officiers, dès le mois d’octobre 1940, lorsque sera créé le réseau de renseignement Alliance, puis plus tard, dans d’autres secteurs de la Résistance.

            Sur le modèle habituel, on retrouve une organisation à trois niveaux. D’abord, les miliciens de base, exclusivement des hommes à l’origine, les premières femmes n’apparaissant qu’à l’automne 1943, avec leur carte, leur brassard et leur insigne en forme de gamma ; au total, un effectif que l’on peut évaluer entre 550 et 650 personnes. Ensuite, la Franc-Garde, c’est-à-dire la branche armée et paramilitaire, qui rassemble l’élite des miliciens, exclusivement des hommes de 18 à 45 ans ; ils opèrent revêtus de leur uniforme traditionnel bleu marine avec béret et cravate ; ils sont rétribués à la prestation (enquêtes, distribution de Combats, surveillance, coups de main, arrestation, etc.) ; on en compte 139 en décembre 1943, mais leur nombre global avoisine les 200 individus. Enfin, la Franc-Garde permanente, constituée par l’élite de la Franc-Garde ; elle rassemble au total une cinquantaine d’hommes, tous salariés ; créée le 21 octobre 1943 par Dabadie, elle se compose de 32 hommes en juin 1944.

            La Milice est structurée sur le terrain en mains (5 hommes), en dizaines avec chefs de dizaine, en trentaines avec chefs de trentaine (Laborde, Breuils, Seltzer, etc.), en centaines avec chefs de centaines (Leygue) et en cohortes avec chef de cohorte (Tavet). Le siège est fixé à Pau, au deuxième étage de l’Hôtel Gassion, entrée Gontaut-Biron. A Bayonne, les locaux de la loge maçonnique La Zélée, derrière l’église Saint-André, lui sont attribués. Elle est encadrée par des inspecteurs et des « entraineurs pour combat de rue » (Gonzales), et divisée en sous-sections : maintien de l’ordre et défense du territoire (Blin, Saint-Laurent), documentation et renseignement (Mounier), services motorisés (Lombard), services publics (Chauvet, Michel), etc.

            La Milice, police supplétive, se considère comme dépositaire de l’autorité administrative de l’Etat français. Elle n’est pas un parti politique, mais s’estime être l’expression de la quintessence de la nation française. A ce titre, elle est au-dessus des partis, un peu sur le modèle du parti fasciste en Italie. Il en résulte, sur le terrain, d’inévitables conflits avec la police ou la gendarmerie, les miliciens en patrouille de nuit refusant fréquemment de justifier de leur identité auprès des policiers, ce qui engendre plusieurs plaintes, classées sans suite, auprès du préfet (9).

            Quant au programme lui-même, il est bien connu par ailleurs et schématiquement résumé par le sixième couplet de l’hymne des miliciens :

                        « Miliciens, faisons la France pure.

                        Bolcheviks, francs-maçons, ennemis,

                        Israël, ignoble pourriture,

                        Ecœurée, la France vous vomit. »

Que nous apprennent les listes de miliciens conservées aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques ?

            Quatre listes de miliciens, indiquant les noms, prénoms, adresses, professions et fonctions occupées dans l’organisation, sont conservées :

– celle du 12 février 1943, comportant 371 noms. Ce document est antérieur d’une quinzaine de jours à la création du mouvement dans les Basses-Pyrénées ; il s’agit donc d’un document de travail, plutôt que d’une liste à caractère officiel.

– celle de la Franc-Garde, datée de décembre 1943, comportant 139 noms

– celle de la Franc-Garde permanente, en date du 6 juin 1944, comportant 32 noms

– celle de la Milice de Bayonne, en date du 5 juillet 1944, comprenant 29 noms

            Ces quatre listes qui rassemblent, au total, 490 noms, certains d’entre eux apparaissant sur deux, trois, voire sur les quatre, constituent un ensemble incomplet (10). On sait que d’autres hommes et femmes sont venus rejoindre le mouvement tout au long de ses dix-huit mois d’existence, mais leurs noms ne figurent pas sur les listes préfectorales, notamment pour l’année 1944, où nous ne disposons que de deux listes fragmentaires. Il est donc certain que le nombre de 490 miliciens est inférieur à la réalité, l’effectif global total étant sans doute proche de 700, tous grades confondus.

            Les miliciens des Basses-Pyrénées n’ont jamais constitué un groupe homogène. Leur recrutement s’opère, en effet, en deux périodes distinctes, correspondant à deux types de militants différents.

            D’abord, l’époque de la création, en février 1943, durant laquelle la nouvelle organisation se construit sur la base des effectifs de la LFC, en dévoyant, en quelque sorte, ses adhérents. L’immense majorité des miliciens provient en effet des associations d’anciens combattants de l’entre-deux-guerres, rassemblées par la loi du 29 août 1940 au sein d’un mouvement unique, la LFC, dont la représentativité est reconnue par le nouveau régime. Or la LFC est composée, notamment en province, de notables du mouvement combattant, souvent assez peu marqués politiquement et rarement inscrits à un parti politique ; ils sont surtout maréchalistes et n’adhèrent pas nécessairement aux thèses de la Révolution nationale ; plusieurs dizaines d’entre eux d’ailleurs, en désaccord avec les options répressives de Darnand, surtout celles qui conduisent à pourchasser les résistants français, démissionneront au cours des mois suivants (11). En Béarn, le plus connu de ces légionnaires est le commandant Henri Saüt, chef de la LFC départementale, commerçant en vins, dénoncé comme trop pondéré par les uns, trop adepte des parades militaires par les autres ; il n’adhèrera jamais à la Milice. Il est vrai que ses compagnons, à de rares exceptions près, sont loin de se douter de son double jeu, puisqu’il fut l’un des tout premiers résistants du département, que le réseau Alliance fut fondé à son domicile, le 21 octobre 1940, par le commandant Loustaunau-Lacau et Pierre Gascogne, et que ses responsabilités à la tête de la LVF ne sont qu’une couverture (12).

            Ensuite, l’époque allant de l’été 1943 à l’été 1944, pendant laquelle un nouveau type de militants apparait, plus jeunes et plus agressifs. Ils sont encadrés par le groupe Collaboration, issu du PPF de Doriot, qui rejoint d’un bloc le mouvement (13) ; une trentaine d’entre eux s’engageront en 1944 dans la Wehrmacht ou dans la LVF (Français sous uniforme allemand). Ils sont beaucoup plus actifs que les précédents, impatients d’en découdre et affichent leur haine des communistes et des résistants. Ils se plaignent d’être confinés dans des tâches secondaires, comme les enquêtes de marché noir ou la recherche de renseignements, et estiment que la période de leur formation est trop longue (14). Les raisons pour lesquelles ils se sont engagés sont rarement idéologiques ; ils sont surtout attirés par le salaire de la Franc-Garde, avides des sensations que leur procurent l’exercice de la force et grisés par le pouvoir dont ils s’estiment investis ; bon nombre d’entre eux y voit aussi le moyen d’échapper aux réquisitions du STO. Parmi eux, la proportion des sans métiers, voire des marginaux, ne cesse de croître avec le temps, infléchissant l’image du milicien dans un sens de plus en plus négatif. Un véritable conflit de générations les oppose aux anciens de la LVF, qu’ils assimilent à des bavards moralisateurs ou à des vieillards décorés, et pour lesquels ils manifestent de moins en moins de respect.

            Au moment du débarquement en Normandie, la milice départementale rassemble environ 500 hommes et femmes, originaires en majorité du Béarn, parmi lesquels 131 Francs-Gardes. Ils se comporteront comme une police supplétive, multipliant les dénonciations auprès de l’occupant, procédant à des arrestations et à des interrogatoires souvent violents, et déclenchant plusieurs opérations militaires contre les maquis de la région (15). Cependant, ils ne prennent part qu’indirectement aux combats de la libération et certains d’entre eux tentent même de se rapprocher des résistants. Un tel comportement contraste avec celui que l’on observe dans la plupart des autres départements.

            Les listes conservées aux Archives départementales permettent, malgré les lacunes, de cerner quelques-unes des principales caractéristiques du groupe. L’étude par catégories socio-professionnelles montre que, sur les 490 miliciens, on compte :

– 103 commerçants et artisans (21,2 %)

– 99 employés (28,3 %)

– 84 professions libérales ou patrons (17,2 %)

– 48 militaires de carrière (9,8 %)

– 16 ouvriers (3,4 %)

– 5 paysans (1,3 %)

            Si l’on comptabilise ensemble les professions libérales (parmi lesquelles on relève 9 médecins, 5 journalistes et 4 avocats) et les militaires de carrière, on est frappé par l’importance du groupe : 132 personnes (27,1 %). Plus du quart des miliciens départementaux appartiennent aux classes aisées de la société, alors qu’ils constituent moins de 4 % du corps social, d’après le recensement de 1936. En outre, ils fournissent pratiquement tous les cadres du mouvement, dont ils contrôlent l’ensemble des sections. Leur poids est essentiel. On peut donc affirmer que les miliciens des Basses-Pyrénées sont surtout des notables, exerçant des professions respectées et ayant pignon sur rue. La proportion infime de paysans et d’ouvriers (respectivement 1,3 et 3,4 %) confirme cette analyse et constitue son corollaire. Certes, leur nombre et leur influence ne cessent de fondre au fil des mois, jusqu’à leur réserver un rôle secondaire au moment des combats de la Libération, mais les statistiques sont indiscutables dans ce domaine. L’image traditionnelle de Lucien Lacombe, diffusée par le film de Louis Malle, présentant le milicien comme un homme du peuple, fruste et marginal, ne correspond pas aux réalités de notre département. Faut-il voir là une des explications de la réputation de relative modération du mouvement en Béarn et en Pays basque ?

            Le groupe est presque exclusivement urbain et palois. Sur les 443 personnes pour lesquelles nous disposons de l’adresse, 383 sont domiciliés à Pau, soit 78,1 %. Cette proportion considérable, sans aucun rapport avec le poids démographique de l’agglomération dans le département, confirme l’hypothèse souvent avancée du rôle moteur du chef-lieu béarnais dans le soutien aux thèses vichystes. En tous cas, aucune autre agglomération importante du département, ni Bayonne, ni Biarritz, ni Orthez, ni Oloron, ni Mauléon, ni Nay, ni Monein, ne présente une semblable caractéristique. Les raisons de cette situation ne sont pas clairement connues, même si la présence de l’administration préfectorale et du commandement départemental de l’armée d’occupation semble des éléments à prendre en compte, comme on peut l’observer par ailleurs. Au total, rares sont les miliciens provenant des milieux ruraux, c’est-à-dire du Béarn ou du Pays basque profond.

            Si les hommes rassemblent l’immense majorité des effectifs (416 sur 490, soit 84,9 %), il faut néanmoins souligner que les femmes ne sont pas absentes. Avec 15,1 %, elles constituent une minorité importante, même si, dans les faits, elles sont confinées dans des tâches secondaires, essentiellement d’ordre administratif. Aucune d’entre elles n’appartient à la Franc-Garde et aucune n’est mentionnée à l’occasion d’une descente de police, d’un coup de main ou d’une arrestation. La section féminine est créée le 3 septembre 1943, sous le nom de « l’Avant-garde, filiale de la Milice », avec comme chef Marguerite Dieudonné (16).

            Au total, le profil des miliciens du département des Pyrénées-Atlantiques apparaît assez typé : plutôt âgé, plutôt bourgeois, urbain et bien installé, attaché aux principes de la Révolution nationale et à la personne du Maréchal, globalement peu enclin aux actions violentes ou illégales. En un mot, plutôt maréchaliste que collaborationniste.

La Milice des Basses-Pyrénées à l’œuvre

            Même si l’histoire de la Milice fut brève, à peine dix-huit mois, il convient de distinguer plusieurs périodes. L’action de ses adhérents n’a cessé d’évoluer au cours des mois, jusqu’à atteindre un bref paroxysme au moment des combats de la libération. Mais même pendant cette période très meurtrière, la spécificité du département demeure bien présente.

            Le premier semestre de l’année 1943 correspond au temps de la mise en place du mouvement et à celui des luttes intestines pour en prendre le contrôle. Les mois de février, mars et avril sont d’abord consacrés aux procédures d’organisation : cérémonie d’investiture des stagiaires de l’Ecole des cadres à Tarbes, les 13 et 14 février, assemblée constitutive de Pau (28 février), création par le chef Dabadie et le chef adjoint Lauzier,  en ex-zone non-occupée, des sections locales et investiture des responsables.

            Le véritable combat pour le pouvoir ne commence qu’ensuite. Il éclate au grand jour pendant le mois de juin 1943 et débouche sur une partielle redistribution des cartes. Il oppose, comme nous l’avons évoqué, deux tendances difficiles à concilier, de plus en plus inflexibles, dont les opinions ne cessent de se figer. Il est essentiellement d’ordre idéologique. D’un côté, les partisans du légalisme, incarnés par le commandant Lauzier et le colonel Blin ; ils sont les chantres de la Révolution nationale des débuts de Vichy, à une époque où le concept n’est plus de mise, ayant laissé toute la place à la collaboration active ; ils continuent de dénoncer l’anti-France, c’est-à-dire les communistes, les étrangers, les juifs et les francs-maçons, mais ne s’en prennent pas directement aux résistants français qui, il est vrai,  sont alors dans la phase de structuration de leurs maquis ; ils persistent à défendre l’autorité de l’état, de sa police et de sa gendarmerie, et ne souhaitent pas que le mouvement devienne une police supplétive, sur le modèle de la SS en Allemagne ; profondément attachés à l’ordre, ils ne veulent pas devenir un facteur de sédition, qui ne ferait qu’accroître les malheurs du temps et risquerait de conduire la population vers un processus de guerre civile. Et puis, ou plutôt et surtout, ils sont viscéralement antiallemands ; la plupart d’entre eux ont connu les massacres et les souffrances de la Grande Guerre et n’ont rien oublié. De l’autre côté, on trouve les partisans de la collaboration, telle que Laval et Darnand l’ont définie ; ils considèrent que la victoire allemande est inévitable, que la France doit donc délibérément se situer dans le camp des futurs vainqueurs, que tout doit être fait pour hâter cette issue, y compris en menant la lutte armée contre les terroristes français qui ont vendu leur âme aux Anglais, aux Américains et aux Bolcheviks ; ils sont partisans de la subversion et veulent imposer leur loi aux forces de l’ordre, pour lesquelles ils affichent la plus grande méfiance ; ils sont las des vains bavardages des anciens de la LFC, dénoncent leur inaction et souhaitent en découdre ; ils soutiennent volontiers les thèses de la « collaboration intégrale », telles que les défendent Doriot et Déat, et telles que l’illustre si bien Henriot sur les ondes de radio-Paris ; en un mot, ils sont collaborationnistes.

            Entre les deux, la synthèse semble bien difficile à réaliser, d’autant plus que la rivalité recouvre un conflit de générations. C’est pourtant ce à quoi s’efforce le chef Dabadie, en donnant des gages aux uns et aux autres. Aux légalistes, il affirme que les compétences du préfet sur les questions d’ordre public ne sauraient être remises en cause et que la police doit être respectée au même titre que la Milice ; aux collaborationnistes, il montre sa détermination en obtenant la radiation, le 19 juin, de son adjoint Charles Lauzier, considéré comme le symbole de l’inaction bavarde, en acceptant la démission du colonel Blin, ancien commandant du 18ème et défenseur inflexible de l’ordre (11), et en couvrant les miliciens qui n’avaient pas respecté le couvre-feu et avaient refusé de présenter leurs papiers à la police (17). Il sauve ainsi sa place à la tête du mouvement, sans vraiment convaincre les uns et tout en mécontentant les autres. Du moins, pourra-t-il demeurer en fonction jusqu’au début du moins d’août 1944.

            La deuxième phase court de l’été 1943 au débarquement des alliés en Normandie (6 juin 1944). C’est la période pendant laquelle la Milice tente de répondre aux objectifs qui lui ont été assignés, le contrôle de l’opinion publique, la répression des « menées antinationales » et la propagande active. Elle multiplie les enquêtes destinées à son service de renseignements, sur les trafiquants du marché noir, les rouges et notamment les communistes, les francs-maçons et les personnes soupçonnées d’écouter la BBC. Ce travail obscur n’est guère du goût des plus activistes, d’autant plus qu’il exige de longues journées de traque, souvent vaine, et qu’il n’est pas toujours suivi d’effets. Une note des RG indique même que « un certain découragement se manifeste chez les Francs-Gardes, qui se plaignent principalement de ce que leurs chefs, après leur avoir demandé de fournir des renseignements sur les activités subversives, les trafiquants de marché noir, etc. n’ont donné aucune suite aux faits signalés » tout en précisant que ne sont enregistrées que de « très rares démissions, en raison du fait que les militants sont dispensés du STO en Allemagne » (18). Comme de nombreuses lettres anonymes de dénonciation ne cessent d’arriver soit au cabinet du préfet, soit au siège de la Milice, l’instruction de ces courriers devient une des activités majeures. Dabadie exige que ces lettres soient transmises aux services de police et non pas directement à l’occupant, hôtel Continental (Wehrmacht) ou Villa Saint-Albert (Gestapo) ; il révoque même deux miliciens qui avaient contrevenu à cette règle. Plusieurs « descentes de police » avec perquisitions sont menées par la Franc-Garde au domicile de divers suspects, conclues la plupart du temps par l’arrestation des intéressés et leur remise aux autorités allemandes. Ainsi le 22 juin au collège de Betharram, le professeur d’agriculture est arrêté, après dénonciation, plusieurs exemplaires du Populaire ayant été trouvés dans sa chambre. De même, pendant tout le printemps 1944, des opérations sont menées dans la vallée d’Ossau contre des paysans soupçonnés ravitailler les maquis. De même, le 20 mai 1944, une descente est effectuée à Pau, rue Cazaubon-Norbert, à l’issue de laquelle deux juifs sont arrêtés en possession d’une machine à écrire et de faux titres d’identité. Même si ces affaires peuvent sembler légères, leurs conséquences sont souvent dramatiques : l’emprisonnement et la déportation. Une étude précise, au cas par cas, reste encore à mener dans ce domaine ; elle permettrait de préciser l’ampleur de la répression, sa variété et son efficacité. En l’absence de toute enquête, on ne peut qu’en rester à des évaluations et il serait aventureux aujourd’hui d’en tirer des conclusions tranchées.

            Le débarquement en Normandie ouvre la troisième phase, celle qui est signalée partout ailleurs comme la plus violente. Avec les vrais combats armés pour la libération du territoire, s’ouvre en effet la période de tous les excès. De fait, la Milice départementale est directement associée au durcissement de la répression, même si des initiatives étonnantes indiquent une certaine volonté d’éviter es risques de guerre civile.

            La doctrine de la « collaboration intégrale » triomphe alors et se déchaîne. On retrouve les miliciens à tous les niveaux de la répression. Néanmoins, on ne peut pas affirmer que, dans les Basses-Pyrénées, ils aient tourné leurs armes contre les résistants. On n’y observe pas  les dérives rencontrées par ailleurs, où l’on voit les miliciens traquer eux-mêmes les réseaux et les maquis, pratiquer des exécutions sommaires, réunir des cours martiales et prendre les armes contre les maquisards, comme aux Glières. Certes, certains d’entre eux, basques ou béarnais, ont combattu directement la Résistance, dans l’Ariège ou en Haute-Savoie, mais aucun fait de ce type n’est signalé dans notre département. En revanche, ils fournissent les informations qui permettent à l’occupant de pourchasser les opposants. Par exemple, lors de l’arrestation du plus célèbre des passeurs pyrénéen, Fiorentino Goïkoetchéa, du réseau Comète, le 26 juin 1944 (19), ou bien lors des expéditions allemandes à Louvie-Juzon, le 16 juin, ou à Aubertin le 1er août. Il est acquis que l’expédition de Portet, le 3 juillet, au cours de laquelle seize maquisards sont tués et 44 faits prisonniers pour être fusillés le lendemain au Pont-Long, est liée à des informations fournies par deux miliciens (20). Il en va de même pour l’accrochage du Bager d’Oloron, le 19 juin, au cours duquel douze résistants sont tués (21). Il est très probable que les combats d’Higuères-Souye, le 10 juillet, qui ont fait cinq morts et 10 fusillés, le lendemain, côte de Morlaas, relèvent de la même logique.

            Cette dérive meurtrière s’accompagne, au mois d’août, d’un renouvellement des cadres. Le 5 août, Henri Dabadie est remplacé à la tête de la Milice par le commandant Mortémart de Boisse, partisan de la méthode forte. Ce dernier s’entoure d’une équipe de choc et tente d’imposer un régime de terreur en avançant le couvre-feu à vingt heures, en fermant plusieurs établissements publics et en limitant la liberté de circulation des piétons ; mais, la déliquescence de l’armée d’occupation et, moins de trois semaines après sa nomination, la libération du Béarn, lui ôtent toute possibilité de voir ses ordres exécutés et il s’enfuira avec les bagages de la Wehrmacht.

            Pourtant, malgré ce déchaînement, un événement surprenant vient prouver l’originalité du département. Il s’agit de la fameuse rencontre de Saint-Faust, le 12 juin, entre Henri Dabadie, chef de la Milice, et Ambroise Bordelongue, chef de la Résistance.

            La réunion a lieu chez Sauveur Cozzolino, trésorier des MUR, et vieil ami de Bordelongue (22). Elle réunit, d’un côté, les cadres de la Résistance clandestine (Bordelongue, Baradat, Cassagne, Couret et Selvez), de l’autre, Dabadie, qui a pris l’initiative de la rencontre, entouré de deux miliciens non identifiés. L’objet est d’éviter que le département ne sombre dans la guerre civile et les règlements de compte meurtriers, perspective prévisible depuis l’annonce du débarquement. Les miliciens savent bien qu’ils en seraient les premières victimes. Le face à face tourne court. En effet, Bordelongue exige d’entrée que les miliciens remettent les armes et se livrent, préalable à toute discussion ultérieure. Dabadie expose en réponse une surprenante proposition : il demande que ses troupes de miliciens soient intégrées dans les rangs de la Résistance armée et soient exonérées de toute poursuite ultérieure. Aucun terrain d’entente n’étant possible, il est mis fin à la brève entrevue et les deux délégations se retirent. Dans les jours suivants, aucunes représailles ne seront exercées à l’encontre des participants ou de leur famille, ni d’un côté, ni de l’autre.

            Mais l’affaire s’ébruite, produisant dans l’un et l’autre camp les mêmes effets. A la mi-juillet, Ambroise Bordelongue est relevé de ses fonctions à la tête du CDL clandestin, par les autorités régionales. Notons cependant qu’il conserve la présidence des MUR. Il sera remplacé au CDL par Honoré Baradat, pourtant lui-même présent à l’entrevue de Saint-Faust.  Quant à Dabadie, il est déchu de toutes ses responsabilités, le 26 juillet, et remplacé par Mortémart de Boisse. Dans les deux cas, le reproche de leurs autorités respectives est le même : comment ont-ils pu prendre une telle initiative sans en référer à leurs supérieurs ?

            L’affaire, sur le fond, doit être analysée à la lumière des événements nationaux. En effet, Darnand lui-même, au même moment, fait des avances indirectes de la même nature à la Résistance, proposant d’y intégrer ses troupes ; vainement évidemment (23). Une entrevue identique à celle de Saint-Faust est signalée dans le département de la Corrèze. En outre, il existait donc certains liens personnels entre les militants des deux camps opposés : les responsables les plus âgés avaient pu se connaître auparavant, pendant les combats de la Grande guerre, comme, par exemple, Bordelongue et Dabadie. Quant aux plus jeunes, il est frappant de constater que bon nombre d’entre eux voyaient dans leur engagement, les uns dans les maquis, les autres dans la Milice, un moyen d’éviter le STO en Allemagne. Même s’ils habillaient leur décision d’un discours idéologique, personne n’était dupe. Et puis, soulignons que les résistants et les miliciens ne se sont jamais entre tués, dans le département ; aucun contentieux sanglant ne les a directement opposés, creusant entre eux un fossé infranchissable, comme en Haute-Savoie par exemple.

            Vue du côté de la Milice, l’entrevue de Saint-Faust montre surtout que les contradictions entre légalistes et collaborationnistes, qui minaient le mouvement depuis sa création, n’ont jamais disparu. Hésitant entre les deux tendances, tentant d’en faire la synthèse, Dabadie se rallie finalement aux modérés, ce qui lui permettra de sauver sa tête au moment de l’épuration. Mais jamais, dans le département, la Milice n’est parvenue à surmonter ses divisions originelles. C’est là l’une des principales raisons de la place secondaire qu’elle occupe dans la répression contre les résistants.

            Après l’assassinat de Philippe Henriot, le 28 juin 1944, la Milice est démoralisée ; ses militants traumatisés se dispersent à travers le pays, tentant de trouver le salut dans la fuite. Boisse, le nouveau chef, est incapable de trouver les hommes qui feraient appliquer ses nouvelles exigences.

            Au moment de l’épuration, plusieurs dizaines de miliciens sont arrêtés, emprisonnés, internés dans des camps et traduits devant les instances judiciaires. Le bilan précis reste à faire, d’une manière détaillée et indiscutable. Il n’est pas, possible de le présenter ici. Nous nous contenterons de noter que, sur les 39 condamnations à mort prononcées par la Cour de justice civile de Pau, seulement trois ont été exécutées : il s’agit dans les trois cas de miliciens qui avaient revêtu l’uniforme allemand et combattu dans la Waffen SS. Si l’on y ajoute les deux miliciens victimes, fin août, de l’épuration spontanée, on constate que le bilan, cinq miliciens tués, est parmi les plus réduits de tous les départements français. En outre, Dabadie, leur chef, a sauvé sa tête, ainsi que tous les autres chefs départementaux, malgré leur condamnation à mort par la Cour de justice civile.

            Comment interpréter ces chiffres ? Si les condamnations à mort ont été critiquées par le public, au moment de l’énoncé des verdicts, les jugements apparaissant parfois trop sévères, il convient de souligner qu’elles n’ont jamais été remises en cause, d’une quelconque façon, par les responsables de la Résistance. Baradat et Poullenot insistent plutôt sur une relative modération (24). Les jugements leur ont semblé conformes à ce qu’ils pouvaient attendre. De fait, la fréquence des peines capitales est comparable à celle que  l’on peut observer dans les départements voisins. En revanche, les maquisards et leurs familles ont presque toujours affirmé que les tribunaux avaient fait preuve d’une excessive mansuétude, notamment pour les miliciens. Les courriers des lecteurs publiés dans la presse confirment cette impression. Il n’est pas question de trancher un tel débat, qui n’a d’ailleurs plus cours.  On peut seulement constater qu’une condamnation à mort sur dix a été suivie d’effet, la dernière intervenant plus de deux après la guerre, et que chacune d’entre elles suscita une réelle émotion. En outre, l’épuration extra-judiciaire a été limitée à une dizaine de cas (« le sang n’a pas coulé » a dit Baylot, premier préfet de la libération). Dans l’ensemble, l’ordre a régné dans le département, conformément aux vœux de de Gaulle. L’intérêt national et la volonté de s’unir pour reconstruire le pays semblent avoir été les premiers soucis de la République ressuscitée.

            Au total, même si aujourd’hui le sujet sent toujours un peu le soufre et s’il est difficile de conclure, quelques remarques de bon sens peuvent être formulées, en guise de bilan.

            La Milice a toujours été un mouvement marginal dans le département des Basses-Pyrénées. Elle n’a rassemblé que quelques centaines de personnes, que l’on évalue généralement à 700 individus environ. Sur une population totale de 415 000 habitants, la proportion est réduite.

            Elle est l’héritière directe de la Légion française des combattants, réputée en Béarn et en Pays Basque pour sa modération. Elle n’a jamais été contrôlée par les groupes ou partis collaborationnistes ou extrémistes comme la Légion des volontaires français, le PPF ou le PSF. Elle est constamment minée en profondeur par un conflit récurrent entre une tendance maréchaliste et légaliste, dominante au début, et une tendance collaborationniste, qui peine à s’imposer. Elle est écartelée par un véritable conflit de génération qui recouvre largement le clivage précédent. Son chef, auréolé du prestige que l’on doit à sa fonction plutôt qu’à son rayonnement personnel, tente pendant un an et demi de faire la synthèse, avec des résultats inégaux.

            L’action de la Milice a toujours été limitée, sans doute en raison de ses contradictions internes.  Elle n’a jamais remplacé la police légale et s’est même efforcée de vivre en bonne entente avec les services préfectoraux. L’essentiel de son travail a consisté dans la recherche de renseignements et d’enquêtes sur les trafiquants de marché noir, les juifs, les francs-maçons et les communistes. Si elle a vécu en bonne intelligence avec l’occupant allemand, lui dénonçant fréquemment les opposants et les suspects, le guidant parfois dans ses expéditions de répression, elle n’a jamais, semble-t-il, pris part directement à la lutte armée contre la Résistance. Elle n’a pas participé aux combats de la libération et son chef a même tenté de trouver un terrain d’entente avec la Résistance, pour éviter de possibles débordements sanglants. C’est une des raisons pour lesquelles elle n’a pas été décimée au moment de l’épuration.

            Au total, et même si le terme peut paraitre inadapté, voire provocateur, dès lors qu’on évoque les méfaits de la Milice, elle caractérisée par une relative modération. En cela, il existe bien une spécificité du département des Basses-Pyrénées, surtout si on le compare avec les régions bordelaise, toulousaine ou ariégeoise.

(1) Michèle Cointet, La Milice française. Fayard, 2013, 344 p.

(2) Sur le plan national, il s’agit essentiellement de l’ouvrage ancien de Jacques Delperrié de Bayac, Histoire de la Milice (1918-1945), Fayard, 1969, et de celui de Pierre Giolitto, Histoire de la Milice, Perrin, 1997. Sur le plan régional, il s’agit des études de Gérard Chauvy, Histoire sombre de la Milice, Ixelles éditions, 2012 ; Gérard Chauvy, Lyon 1940-1947, Perrin, 2004 ; Jean-Claude Valla, La Milice à Lyon (1943-1944), Editions de la Librairie nationale, 2002 ; Christelle Fageot, La milice en Vaucluse (1943-1944), Etudes comtadines, 2008 ; Jean Estèbe, Toulouse (1940-1944), Perrin, 1996 ; André Laurens, Une police politique sous l’Occupation. La Milice française en Ariège (1942-1944), Foix, CRDP, 1982 ; Michel Germain, Histoire de la Milice et du maintien de l’ordre en Haute-Savoie, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 1997.

(3) Louis Poullenot, Basses-Pyrénées. Occupation. Libération (1940-1945). J & d Editions, Biarritz, 366 pages. Voir le chapitre 4 (La collaboration à l’œuvre), p. 95-99.

(4) Pour les archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, voir les deux liasses 87 W 46 et 1031 W 66 provenant du fonds du cabinet du préfet, ainsi que quelques dossiers provenant des archives du CDL  (34 W 15) et de celles consacrée à l’épuration (1031 W 167). Pour les archives départementales des Landes, rappelons seulement que la zone occupée du département des Basses-Pyrénées étaient sous le contrôle de la préfecture de Mont-de-Marsan.

(5) Par exemple, les archives sur la Milice à Oloron-Sainte-Marie, que nous a communiquées Robert Félix, en 2013, quelques mois avant sa mort.

                Robert Félix, guérillero espagnol en 1940, a combattu dans la Résistance française au sein du maquis du Bager d’Oloron (1943-44) et a participé à tous les combats de la libération de la vallée d’Aspe.

(6) Rapport B6 adressé le 1er mars 1943 par l’officier des RG au préfet, ADPA, 87 W 46.

                Henri Saüt, président départemental de la LFC, avait été arrêté au début du mois de février, sous la pression du PPF et du groupe Collaboration qui lui reprochaient des malversations qui n’ont jamais été confirmées (affaire Falcucci) ; l’accusation n’avait pas fait long feu et il avait été immédiatement libéré. Mais il en était résulté un climat délétère au sein dans tous les milieux maréchalistes.

                Quant aux rumeurs qui circulent sur Henri Dabadie, elles concernent surtout son neveu qui venait de rejoindre « l’armée dissidente », à Londres, suscitant des critiques sur l’ensemble de sa famille, à commencer par son oncle.

(7) Rapport adressé le 5 mars 1943 par l’officier des RG au préfet, ADPA, 87 W 46.

(8) Voir notamment Georges Loustaunau-Lacau, Mémoires d’un Français rebelle, Robert Laffont, Paris 1948. L’auteur fut lui aussi l’un des cadres de la LFC, à Vichy, couverture qui lui permit de développer ses activités de résistant. Voir aussi Marie-Madeleine Fourcade, L’Arche de Noé, Fayard 1968. L’auteur, qui succéda au commandant Loustaunau-Lacau à la tête du réseau Alliance (« l’un des plus importants services de renseignements sous l’Occupation », disait de Gaulle), souligne les services rendus dès 1940 par Henri Saüt  et Roger Dupuy, chef et chef-adjoint de la LFC des Basses-Pyrénées : mise à disposition de planques pour ses informateurs, de postes émetteurs et de filières d’évasion (p.73).

(9) Lettre FL/LG 4029 adressée le 18 mars 1943 par le préfet au chef départemental de la Milice, ADPA, 87 W 46.

(10) Les trois listes sont conservées aux ADPA, 34 W 15.

(11) La démission la plus notable est celle d’Adolphe Blin, sexagénaire, ancien colonel commandant le 18ème RI, adjoint direct de Lauzier et longtemps pressenti pour lui succéder. Elle intervient le 15 juin 1943, à une époque où le durcissement idéologique est sensible dans les discours des responsables nationaux, suscitant des réactions de rejet dans les milieux plus modérés. La radiation de Lauzier, quelques semaines plus tard, est à interpréter dans cette optique.

(12) Sur Henri Saüt, voir notamment la notice rédigée par Louis-Henri Sallenave, chargé de sa biographie par l’Académie de Béarn : « Mobilisé en 1939 comme commandant, il entre dans la Résistance dès l’été 1940, dans le réseau Alliance de son ami Loustaunau-Lacau. Comme couverture, il accepte de prendre la présidence de la section béarnaise de la Légion Française des Combattants. Dénoncé par un milicien palois, il est arrêté à Pau le 18 février 1943 par la police de Vichy et le 16 mars 1943 par la Gestapo. Il est emprisonné plusieurs jours à Fresnes et libéré, faute de preuves. En juin 1944, il est arrêté par la Gestapo, avec neuf autres personnalités paloises, séjourne à la caserne Bernadotte avant d’être transféré à Dachau. Envoyé au camp de travail d’Allach, puis muté au camp d’Hersbrück, il y meurt. Officier de la Légion d’Honneur, Croix de guerre 1914-1918 et 1940-1945, décoré à titre posthume de la médaille de la Résistance. »

                Pierre Gascogne est l’une des figures principales du réseau Alliance. Nombreuses missions en France et en Angleterre. Arrêté par la Gestapo en octobre 1943, il est exécuté à Fresnes le 17 juillet 1944.

(13) Voir le dossier Groupe Collaboration conservé aux ADPA 34 W 15, ainsi que le passage  que lui consacre Louis Poullenot, op. cit. p. 90-92.

(14) Notes n° 788 et 845 de l’officier des RG au préfet, ADPA, 87 W 46

(15) Voir Louis Poullenot, op. cit. p. 95-98

(16) ADPA, 87 W 46

(17) Rapport FL/LG 4029 adressé le 18 mai 1943 par le chef de la milice au préfet, ADPA, 87 W 46. 

(18) Note n° 845 adressée le 16 décembre 1943 par l’officier des RG au préfet, ADPA, 87 W 46.

(19) Juan Carlos Jimenez de Aberasturi. En passant la Bidassoa. Le réseau Comète en Pays Basque. Anglet, 1985

(20) Virginie Picaut, Portet, 3 juillet 1944. De la mémoire à l’histoire. Monhélios, Oloron, 2009, 125 p.

(21) Archives personnelles de Robert Félix (voir note 5)

(22) Sauveur Cozzolino, négociant palois en tissus, membre de la SFIO, franc-maçon, est le trésorier de la résistance départementale (d’abord la section locale de Combat, puis les MUR, puis le MLN). Sa propriété de Saint-Faust, à une dizaine de kilomètres de Pau, sert à plusieurs reprises de lieu de réunions clandestines. C’est là qu’est organisée la rencontre discrète du 12 juin. Cozzolino est en outre, connu pour avoir été en relation avec diverses filières de passages en Espagne, grâce auxquelles il a sauvé la vie de plusieurs réfugiés juifs de Pau. Il a été reconnu Juste parmi les nations dès 1993.

(23) Voir Michèle Cointet, op. cit, p.115 et suivantes

(24) Louis Poullenot, op. cit, p. 279-280

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