Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

La filière de passage Laporte. Témoignage de Jean-Baptiste Laporte.

La filière de passage « Laporte » , créée par Jean-Baptiste Laporte à la demande expresse des Services britanniques opère d’avril à la fin de mai 1943. Elle assure le passage de 6 convois d’officiers et de sous-officiers anglais et américains.

 

 

 

 

La filière « Laporte » est mentionnée par Louis Poullenot (Basses-Pyrénées, Occupation, Libération 1940-1945, éditions Atlantica, Biarritz, 2008) aux pages 124 et 125.

Elle est mentionnée par Claude Laharie ( Les Basses-Pyrénées dans la Seconde Guerre Mondiale, éditions Cairn, Morlaas, 2021) à la page 469.

Jean-Baptiste Laporte, à la demande des services britanniques commanditaires de cette filière, a retracé les conditions de sa création et de son fonctionnement dans une lettre datée du 3 avril 1946.

Transcription de la lettre de J.B Laporte

 

PAU, le 3 avril 1946

 

L’Adjudant-Chef LAPORTE Jean-Baptiste

Direction de Travaux du GENIE

3, rue   Duplaa           à PAU

 

à M. le Major JHOM F. Wite j.r.

Grand Hôtel du Palais Royal

4, rue du Palais Royal    à PARIS (1er)

 

 

                  M. RECABORDE m’ayant fait prendre connaissance du questionnaire concernant les Agents d’évasion, je me permets en complet accord avec lui de vous faire ce rapport afin que cela puisse vous servir à toutes fins utiles.

                Dans le courant du mois de mars 1943, je reçus la visite d’un de mes camarades du Groupe de résistance des Basses-Pyrénées. Ce dernier me demande si je voulais m’occuper de former une filière à seule fin de diriger des aviateurs alliés vers l’Espagne. Ces derniers ayant pour la plupart été abattus pendant les divers bombardements tant en France comme dans les pays limitrophes.

                Après avoir consulté mes camarades du Groupe de Résistance de PAU, nous décidâmes d’un rendez-vous avec les responsables de l’organisation (qui d’après le peu que l’on nous avait fait comprendre) appartenaient à l’un des nombreux services de l’I.S.

                Le rendez-vous eut lieu chez moi, les personnes présentes étaient les suivantes :

  • BORDELONGUE, Chef du Groupe de Résistance de PAU
  • RECABORDE, Chef du Service S.R.
  • SPECKLIN, du S.R. de PAU
  • LAPORTE, Chef de l’A.S.

De l’organisation de PARIS, étaient présents : M.BOURGOIN et M. JACK ( ce dernier étant le représentant direct du Chef de l’Organisation qui se faisait appeler Cne WILLIAMS).

   M. BOURGOIN et M. JACK après nous avoir exposé ce qu’ils attendaient de nous, nous demandèrent si nous étions d’accord. Sur notre réponse affirmative, il fut décidé de passer un premier convoi, les questions de détails furent traitées entre M. BOURGOIN et moi (M. BOURGOIN m’ayant appelé à part).

Les conditions étaient les suivantes, chaque convoi serait convoyé par M. BOURGOIN et M. JACK. Je devais aller prendre possession des convois à l’arrivée du train de PARIS, entrant en gare à 21h30. Le prix arrêté était de 5 000 francs par homme, tous frais payés ( à noter que les 5 000 francs étaient versés entièrement au passeur).

Le premier convoi arriva à PAU, vers la fin du mois d’avril 1943, il était composé de 14 Officiers et Sous-Officiers, Anglais et Américains (ces derniers servant dans la R.A.F. depuis la déclaration de Guerre à titre de volontaires).

Comme il n’était pas question de les faire descendre dans un hôtel, ils furent répartis chez nos divers camarades.

Après un repos de 2 jours le convoi partit pour l’Espagne avec comme Chef de convoi un Officier anglais, de façon que ce dernier puisse transmettre les ordres des passeurs a ces camardes. Cet Officier se nommait BRUAND A. de BAKER habitant CAMBRIDGE.

Le voyage s’effectua sans histoire et 3 jours après je recevais confirmation de leur arrivée en Espagne, un peu fatigués mais ains et saufs.

Le premier village où ils passèrent en Espagne était ISABA, présentés à la Police, ils furent dirigés sur PAMPELUNE.

Par la suite, cinq convois passèrent de la sorte toujours dans les mêmes conditions. Vers la fin du mois de mai, M. JACK me fait savoir que le Capitaine WILLIANMS, Chef de l’Organisation de PARIS, désirait avoir un entretien avec moi. Effectivement quelques jours plus tard, M. JACK arrivant de PARIS me fit savoir que le Capitaine WILLIAMS arriverait le samedi soir, c’est-à-dire deux jours plus tard.

Le samedi soir je me trouvais donc à la gare avec M. RECABORDE, M. MARREAU et M. JACK, plus quelques camarades que j’avais convoqués car nous avions su que le Capitaine WILLIAMS était accompagné d’un certain nombre d’Officiers Anglais.

Le train arrivant de PARIS devait entrer en gare de PAU à 21h30. Vers 21h15 quelle ne fut pas notre surprise de voir arriver quatre voitures remplies d’Agents de la Gestapo, elles étaient suivies de fort près par une camionnette dans laquelle se trouvaient 10 soldats allemands armés de mitraillettes. Ces derniers occupèrent aussitôt le quai de la gare. Devant ce déploiement de force, nous comprimes que l’affaire avait été donnée. Mais voulant en avoir le cœur net nous sommes restés jusqu’à l’arrivée du train.

Aussitôt le train en gare tous les voyageurs durent décliner leur identité à haute voix, ceci de façon à pouvoir reconnaitre s’il n’y avait pas d’étrangers parmi eux. Le dernier voyageur à peine sorti , nous eûmes l’explication que nous attendions.

Cinq hommes entourés de soldats allemands furent embarqués dans les voitures de la Gestapo ; M. JACK reconnut parmi eux son Chef, le Capitaine WILLIAMS.

C’est ici que j’attire toute votre attention. Parmi les voyageurs sortis libres du contrôle se trouvait M. BOURGOIN. Nous retrouvâmes ce dernier dans l’arrière-salle du restaurant ARTIGOU (face à la gare). L’émotion de M. BOURGOIN était telle qu’il ne pouvait prononcer une parole. Il but 3 verres de cognac coup sur coup afin de se remettre puis il nous fit le récit suivant :

Parti de PARIS, en compagnie du Capitaine WILLIAMS et de 4 Officiers anglais, le voyage s’effectua sans encombre jusqu’à DAX. Après quelques minutes d’arrêt le train repartit en direction de PAU. Au moment où le train démarrait 4 hommes revolver au poing firent irruption dans le compartiment où se trouvaient le Capitaine WILLIAMS et ses camarades. Ces derniers ne purent faire le moindre signe de défense, tellement ils furent surpris par la soudaineté de l’attaque.

M.BOURGOIN qui à ce moment là se trouvait dans le couloir du compartiment fut interpellé par l’un des agents qui lui dit : « Vous, Monsieur, vous étiez dans ce compartiment, je vous ai vu causer avec ces Messieurs, vous êtes un camarade de ces Messieurs ». M. BOURGOIN répondit qu’effectivement il avait causé avec eux comme l’on fait en voyage, mais qu’il ne les connaissait pas.

L’agent n’insistant pas davantage, M. BOURGOIN put s’en tirer de la sorte (à remarquer que M. BOURGOIN qui avait son chapeau et une serviette en cuir a du l’abandonner de peur d’être ramassé).

Le lendemain M. JACK partit pour PARIS pour avertir les différents services, M. BOURGOIN lui, resta jusqu’à mardi.

Le vendredi suivant, M. JACK revint me voir afin d’avoir un entretien avec moi, au sujet de M. BOURGOIN car il ne pouvait s’expliquer pas plus que nous d’ailleurs, l’arrestation de M. le Capitaine WILLIAMS et de ses camarades.

Lorsque je fis savoir à M. JACK les conditions dans lesquelles s’était traitée l’affaire avec M. BOURGOIN, c’est-à-dire le prix du passage de 5.000 fr, il me fit savoir que M. BOURGOIN touchait 20.000 fr par homme afin de ma les remettre pour les passeurs. Cette escroquerie semblait confirmer pleinement les soupçons que M. JACK avait envers M. BOURGOIN.

M.JACK repartit sur PARIS le samedi soir en me promettant d’être de retour le mardi suivant car il fallait à tout prix, le terrain devenant dangereux pour lui, qu’il passe en Espagne, mais il voulait en profiter pour amener avec lui quelques Officiers qui étaient encore à PARIS. J’attendis jusqu’au mercredi, mais en vain. Ne voyant pas arriver M. JACK je décidais d’envoyer un de mes camarades à PARIS, voir ce qui se passait. Ce dernier était M. MARREAU déjà cité.

M. MARREAU se rendit chez les parents de M. JACK ( ces derniers tiennent une pharmacie à PARIS). A son arrivée chez eux, ceux-ci lui apprirent l’arrestation d leur fils qui s’était produite le lundi, jour où il devait prendre son train pour PAU.

M. MARREAU revint parle train suivant afin de me mettre au courant de ce qui s’était passé. Me sentant traqué de toutes parts, je dus à plusieurs reprises disparaitre pendant quelques jours. Enfin au mois de juillet la Gestapo ayant par fin trouvé ma trace, vint me chercher à mon travail. Mais comme je me doutais depuis quelques temps de la tournure que prenait les événements, j’eus le temps de mettre du champ entre eux et moi. Caché pendant 23 jours chez des camarades mais me sentant traqué de toutes parts, j’ai du par la suite prendre le chemin de l’Espagne et enfin de l’Afrique du Nord où je m’engageais dans un commando parachutiste français sous les ordres des Services Spéciaux Anglais.

Mon camarade RECABORDE continua à travailler jusqu’au jour où arrêté par la Gestapo, il fut envoyé au camp BUCHENWALD d’où il vient de revenir.

Pour M. MARREAU, il vous sera facile de lui rendre visite afin qu’il vous donne l’adresse de M. JACK. M. MARREAU habite 68 bis, avenue de Chatillon à PARIS.

NOTA : Dans le cas où vous aurez besoin d’autres renseignements je suis à votre entière disposition ainsi que tous mes camarades.

                Voici le nom de quelques-uns des aviateurs qui passèrent par notre filière (à noter que M. SPECKLIN a entre ses mains plusieurs lettres provenant de ces aviateurs).

  • Charly MAC DONALD – Américain – engagé dans la R.A.F.
  • Jack O. LUHURS, tombé au cours d’une mission sur PARIS 4/4/1943 U.S.A.
  • Robert KILINS, 802, Cédar S.T. YANKTON (Dakota)
  • W. WILSON, HOLLING SPAING (N. Caroline)
  • Robert WICOS, GORDON (Texas)
  • Roland RURENNE, 267, Notre Dame – St Boniface – Manitoba
  • BARRY, 2637 RUSHBROSKI St MONTREAL
  • Rég. ADAM, 188 RASTICOMBE S. CHARLTON S.E.M.- London
  • GEOVE, 123, Croitre Dunkant Fanh Road, SWANSEA (Wales)
  • HONARD, 1 Kenil North-West DISBURY Manchester
  • DIECK Martin, 150, St Andreus – Bd. St Annéon Sea LANCS
  • PICK Martin, 150 St aAndrewsSouth, St Aunes Sea Lancashire
  • E. PHYTIAN, 96 MYTTO Str, Hulne – Manchester England.

LISTE DES PERSONNES AYANT CONTRIBUE AU PASSAGE EN ESPAGNE D’AVIATEURS ALLIES

  • Jean-Baptiste, Alfred LAPORTE – marié – un enfant. Evadé de France par suite de poursuite par la Gestapo
  • Gérard CANCEL – marié – un enfant. Evadé de France par suite de poursuite par la Gestapo
  • Gaston BERDANCE – marié – sans enfant. Arrêté par la Gestapo, déporté en Allemagne
  • François RECABORDE – marié – un enfant. Arrêté par la Gestapo, déporté en Allemagne
  • Henri LACABANNE – marié – deux enfants. Fusillé par les Allemands
  • Henri FRAISSE – marié – sans enfant. Fusillé par les Allemands
  • Louis LARQUE – marié – sans enfant. Fusillé par les Allemands
  • LAFITTE – marié – deux enfants. Fusillé par les Allemands
  • Pierre MARREAU – marié – sans enfants. Traqué par la Gestapo a pris le maquis
  • BROUCARET – marié – deux enfants. Traqué par la Gestapo a pris le maquis
  • Mme ARTIGOU – marié – cinq enfants
  • Robert SPECKLIN – marié – un enfant

NOTA : tous ces gens sauf M.MARREAU sont domiciliés à PAU.

Source: Archive de l’association.

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