Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

Etat d’esprit de la population. Rapport du sous-préfet d’Oloron, février 1944.

Chaque mois, les sous-préfet sont tenus d’adresser au préfet du département un rapport sur l’état d’esprit de la population. Dans son rapport en date du 3 avril 1944, le sous-préfet d’Oloron donne son diagnostic pour son arrondissement.

 

 

 

Transcription du rapport.

 

JT/HP 5 février 1944

C.D. N°

Le Sous-Préfet d’OLORON

A Monsieur le Préfet des BASSES-PYRENES

Cabinet

OBJET : Rapport mensuel.

1°) ETAT D’ESPRIT DE LA POPULATION – SITUATION MORALE.

Les événements d’ordre extérieurs restent à l’ordre du jour des préoccupations de l’opinion, mais ces deux derniers mois ont vu intérêt croissant se dessinait pour les affaires intérieures.

  1. Au regard de la situation extérieure.

La continuité de l’avance russe sur le front de l’est, malgré l’opiniâtre résistance des forces du Reich, impressionne vivement l’ensemble de la population qui voit dans ces opérations la bataille d’anéantissement qui décidera de l’issue de la guerre. Il est inutile de répéter que, tandis que les uns applaudissent au succès russe, beaucoup d’autres s’en inquiètent fortement et craignant que le pays n’échappe pas à la bolchévisation.

A coté de ce théâtre d’opérations, celui d’Italie parait comme tout à fait secondaire et, malgré le dernier débarquement de NETTUNO, il intéresse peu l’opinion. Celle-ci, cependant, à force d’entendre parler par les deux parties de l’éventualité probable d’un débarquement prochain, se fait peu à peu à cette idée sans cependant en bien réaliser les conséquences.

On tourne enfin les yeux vers l’Espagne dont la situation critique actuelle, sous la pression diplomatique anglo-saxonne, laisse peser la menace de la création d’un deuxième théâtre d’opérations secondaire qui n’est pas du tout du goût des paisibles populations béarnaises.

Les tiraillements qui se font jour entre Russes et Américains font cependant espérer à certains que l’avenir n’est pas exempt de surprises dans le domaine des coalitions actuellement en présence.

On aurait pu constater, au cours des derniers mois de l’année 1943, un refroidissement très net d’une grande partie du public à l’égard du Comité d’ALGER. Ses échecs sur le plan diplomatique et l’ingérence continuelle des Soviets et du parti communiste en étaient les principales causes. Cependant, les derniers événements de la politique intérieure française semblent avoir ranimé, en partie, la flamme qui vacillait.

  1. Au regard de la politique intérieure.

Les changements survenus dans l’entourage du Maréchal PETAIN et du Président LAVAL, fin décembre et début janvier, n’ont pas provoqué de réactions très apparentes, mais ont été jugées comme une sorte de coup d’état dans lequel une partie de l’opinion publique a voulu voir l’emprise grandissante du Troisième Reich. Les sympathies qui, lentement, revenaient au Maréchal PETAIN lui sont, de nouveau, semble-t-il, peu à peu retirées. Cependant, sous l’impulsion donnée par la nouvelle direction de la Police et la répression du terrorisme, certains milieux se félicitent de la nouvelle orientation gouvernementale, tandis que les autres se raidissent dans une attitude ouverte ou camouflée de résistance. Il est toutefois indéniable que la grande masse applaudira toutes les fois qu’il sera mis fin aux actes de brigandage des bandes qui agissent sous le couvert du « patriotisme » ou de « la résistance ».

  1. Au regard des événements régionaux et locaux.

Le grand mouvement préfectoral de fin janvier n’a pas suscité de nombreux commentaires. L’opinion publique dit ouvertement qu’il y a beau temps qu’on ne la prend plus à ces manœuvres spectaculaires et publicitaires. Le départ de M. Chéneaux de Leyritz, Préfet Régional de Toulouse, dont la réputation de grand administrateur s’étendait jusqu’au fin fond de la région qu’il administrait, est vivement regrettée.

Depuis plus d’un mois, la présence de groupes réfractaires est signalée dans les environs d’OLORON, à cheval sur les vallées d’Ossau et d’Aspe. Ces groupes, d’abord peu nombreux et parfaitement localisés, ont reçu, semble-t-il, récemment, des renforts, et à mesure qu’ils se sentaient plus en sécurité, ont moins tenu leur secret. Ceci jusqu’à la première manifestation de la résistance à la suite du récent vol de cartes d’alimentation à la mairie d’OGEU.

D’après les premières estimations, on peut évaluer à moins deux cents le nombre des individus constituant ces groupes qui sont fractionnés en sous-groupes, changeant tous les jours de place, mais restant dans la région montagneuse et boisée des Fagets d’OLORON et d’ARUDY, communicant entre vallée d’Aspe et d’Ossau par le col de Marie Blanque. Certains renseignements tenteraient à laisser croire qu’il pourrait s’agir d’individus venant d’autres « maquis » à la suite d’opérations de police, et notamment de Haute-Savoie.

Quoiqu’il en soit, la région qu’ils ont choisie, si elle leur procure une sécurité assez grande en raison de la difficulté du terrain, de l’épaisseur des bois et de sa faible densité de population, ne peut, par contre, que leur donner de très faibles ressources en ravitaillement. Si une opération de police devait être organisée en vue du nettoyage de cette contrée, il y aurait lieu, au préalable, de recueillir le maximum de renseignements concernant le nombre des individus, leur tendance politique, leur armement, leurs divers cantonnements, ainsi que leurs « postes d’écoute ». Dans tous les cas, ainsi que je l’ai déjà dit, l’opération ne serait pas facile et ne saurait, en aucun cas, être envisagée avec les éléments de gendarmerie et de police normaux.

Est-il besoin d’ajouter que le recensement et la prochaine mobilisation de la classe 44, ainsi que la mise à la disposition éventuelle du Service du Travail de certaines autres catégories d’hommes et de femmes, soulèvent, à nouveau, de sourdes mais violentes protestations. Il est probable que même s’il s’agit du Service du Travail en France, de nombreux jeunes gens préféreront aller grossir la masse des réfractaires. Une seule mesure serait susceptible d’enrayer ce mouvement : elle consisterait à employer les nouveaux mobilisés du Service du Travail dans leur pays ou à proximité immédiate de celui-ci.

  1. Au regard du Ravitaillement.

L’hiver qui s’annonçait rude et qui, maintenant est en grande partie écolé, a été heureusement ensoleillé et doux à plaisir.

Par ailleurs, l’Administration et le Ravitaillement Général ont fait un effort très important en faveur des ouvriers, employés, fonctionnaires, et autres salariés, et familles nombreuses, effort qui a été hautement apprécié et du meilleur effet sur le moral déjà largement ébranlé pour d’autres causes, de la grande majorité de la population.

Il y a eu, évidemment, des critiques de détail auxquelles il n’y a pas lieu de s’arrêter et qui portent, en général, sur certaines inégalités quant aux diverses catégories de bénéficiaires.

L’expérience qui a été réussie avec un plein succès pour les porcs gras mérite d’être étendue à d’autres compartiments du ravitaillement. Cette action n’a pas manqué d’arrêter dans une certaine mesure, les hausses toujours croissantes des prix pratiqués par les cultivateurs. Ces prix sont cependant demeurés élevés grâce au trafic avec l’extérieur du Département.

Ainsi que je vous l’ai indiqué dans mon dernier rapport, la question du lait et la question du bois demeurent les plus épineuses.

En ce qui concerne le lait, les sanctions prononcées contre certains producteurs réfractaires n’ont pas encore reçu d’application. Une du contrôle économique demandée par mes soins, il y a quelque temps, pour OLORON, n’a pas encore eu lieu, à l’exception d’une vérification des Services de M. SANCONI chez un important producteur d’OLORON qui a été pris en défaut. Je souhaiterais, et la population souhaiterait également, que la sanction infligée à ce producteur dépasse le cadre de l’amende administrative. Dans tous les cas, une large publicité devra être donnée à la décision qui sera prise à son encontre.

Je me permets d’insister également pour que les producteurs qui font leur devoir reçoivent des facilités pour l’achat des aliments qui leur manquent pour la nourriture des vaches. Il y aurait enfin lieu, une fois pour toutes, de concilier, d’une part, les exigences de ravitaillement en lait des centres et, d’autre part, celles des Commissions d’achat du bétail sur pied qui, sans doute, sur les ordres du ravitaillement général demande que le poids des veaux dépasse 80 kilogs.

J’ajoute pour mémoire qu’en ce qui concerne la fourniture d’une partie du lait de la laiterie GUERLAIN à PRECHACQ à la laiterie SEILLE à OLORON, la question est provisoirement réglée, mais ce n’est qu’un expédient car la région immédiatement voisine d’OLORON doit être susceptible, avec un peu de bonne volonté et d’intelligence de la part du G.I.L. de fournir le lait nécessaire à la population.

En ce qui concerne l’approvisionnement en bois, l’hiver particulièrement doux a permis de faire face aux besoins, sans trop de difficultés, mais je dois signaler la carence à peu près totale des propriétaires de bois privé. Les impositions ont été satisfaites jusqu’à présent dans la proportion de 0.50%. Aucune mesure de coercition n’étant mise à la disposition de l’administration dans ce domaine, on se trouve à bout d’argument pour aboutir à une partie même minime, du résultat recherché.

2°) RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES.

Toujours correctes. Le service de la Douane allemande manifeste une très grande activité en ce qui concerne le trafic des rares voyageurs et marchandises à destination de CANFRANC. De nombreux laisser-passer ont été retirés à des fonctionnaires de la S.N.C.F. et même à des fonctionnaires français (M. HENRION des Renseignements Généraux), d’autres ont été purement et simplement refusés.

Je vous ai indiqué précédemment que le mode de délivrance des laisser-passer avait été changé et que c’était maintenant un service allemand de MARSEILLE qui avait pris l’affaire en mains.

On m’annonce, par ailleurs, le renforcement en personnel et en cadre, des Services de la Douane allemande ainsi que ceux de la Police de Sécurité. L’inspecteur allemande des Douanes de LOURDES viendrait s’installer prochainement à OLORON.

Rien à signaler concernant les Waffen S.S. des EAUX-BONNES.

3°) PROPAGANDE PAR AFFICHES ET PAR TRACTS.

La propagande clandestine des organisations de résistance et du parti communiste par tracts a semblé s’intensifier ces temps derniers.

Les radios étrangères sont toujours écoutées. Cependant, les éditoriaux de M. HENRIOT, Ministre de la Propagande, ont donné un renouveau d’intérêt à l’écoute de la radio nationale.

4°) SITUATION ECONOMIQUE.

  1. Agricole

Le peu de rigueur de la température s’il a été favorable à l’ensemble de la population et, aux dires des cultivateurs, de mauvais augure quant à l’abondance des récoltes à venir . Ce sera, dit-on, une nouvelle année de sécheresse, et les cultivateurs se plaignent par avance, du manque d’herbe et de fourrage pour leurs animaux.

Dans le domaine des impositions, je n’ai pas de renseignements précis, mais dans l’ensemble, la campagne de ramassage des diverses denrées ne donne pas lieu à de sérieuses difficultés. On se plaint à nouveau, comme l’année dernière à pareille époque, du manque de taxation des porcelets qui atteignant des prix inconnus jusqu’à ce jour. On parle de 120 Frs le k°. Si une nouvelle taxation était envisagée, il faudrait qu’elle fût instituée tout de suite et non pas au mois de mai ou de juin.

  1. Situation industrielle.

Sans changement.

Je rappelle les indications de mon précédent rapport concernant la pénurie de matières premières notamment en ce qui concerne l’industrie sandalière.

5°) MOUVEMENT SOCIAL.

J’ai déjà signalé l’effort qui avait été accompli en vue de la constitution des Comités sociaux, effort auquel les promesses du Ravitaillement n’étaient pas étrangères. Ces promesses ont été tenues et largement appréciées, ce qui contribuera, dans une large part, à assurer la durée de ces organismes.

Je signale enfin, pour mémoire, que malgré les récentes augmentations, la plupart des ouvriers et certaines catégories de fonctionnaires ont encore des traitements qui sont loin d’être en rapport avec le coût de la vie.

6°) AFFAIRES DIVERSES.

L’état sanitaire reste bon malgré la grippe, bénigne à vrai dire, mais qui a affecté, comme tous les ans à pareille époque, un certain nombre de vieillards. L’épidémie de diphtérie continue dans la région d’OLORON. Un cas mortel s’est produit. Le sérum est toujours rare et l’on constate une tendance des parents qui ont des enfants bien portants à acheter par avance ce médicament, ce qui contribue à le raréfier encore plus. Il y aurait intérêt à dessaisir les pharmaciens de la vante du sérum et à en confier la répartition à l’ordre des médecins.

MOUVEMENTS DES FONDS DES CAISSES D’EPARGNE

Mois de novembre

OLORON versements 1102694,90              remboursements 307660,80

MAULEON                    388873,80                                           80 40833,40

BEDOUS                       191162,80                                           42196,80

LASSEUBE                     59988,00                                              1753,20

Mois de décembre

OLORON                        804260,10                                          331833,50

MAULEON                      416404,40                                            90420,60

BEDOUS                         103600,00                                            53165,70

LASSEUBE                     155500,00                                                217,70

MONEIN                          816064,00                                                447,30

CONCLUSION

Voici donc l’hiver en passe de se terminer sans que la perspective d’entrevoir la fin de la guerre se dessine. La population accepte maintenant tout avec fatalisme et résignation, mais demeure extrêmement inquiète et versatile. L’esprit d’égoïsme prend le pas dans toutes les classes de la Société sur l’esprit collectif et le « chacun pour soi » demeure à l’ordre du jour.

Source: SDA 64 cote 37W37    

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