Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

ASPECTS DE L’OPINION PUBLIQUE A PAU. AOÛT 1942.

Deux lettres montrent l’indignation de l’opinion publique devant les mesures antijuives (août 1942).

 

 

 

La première lettre, datée du 23 août 1942, émane d’une personne travaillant pour les services sociaux de la ville de Pau, en relations directes avec les réfugiés juifs internés au stadium de Pau. Elle reflète bien l’état de détresse et d’angoisse dans lequel vivent les juifs réfugiés en Béarn.

Son intérêt historique est important, notamment sur les points suivants :

– (premier paragraphe) : allusion très claire à la rafle du 26 août 1942, alors en préparation. Cette rafle menée par la police et la gendarmerie française, sous les ordres du préfet de région Chéneaux de Leritz, concerne tous les départements du Sud-Ouest. Elle conduira aux déportations du 1er septembre 1942. Tous les détails de cette rafle sont déjà précisés ici.

– (deuxième paragraphe). Allusion aux troisièmes déportations parties du camp de Gurs les 23 et 24 août (710 hommes, femmes et enfants)

– (quatrième paragraphe) : la “petite balnéaire” est Eaux-Bonnes, dans la vallée d’Ossau, où étaient rassemblés les réfugiés juifs assignés à résidence dans la partie non-occupée des Basses-Pyrénées.

– (cinquième et sixième paragraphes): bonne description du stadium de Pau (en face de la gare), où étaient rassemblés les juifs raflés en attendant leur transfert au camp de Gurs. Les informations sur les passeurs sont vraisemblables mais méritent d’être vérifiées.

– (neuvième paragraphe) : le “journal ci-devant radical” est Le Patriote des Pyrénées, au sein duquel sévit le journaliste collaborationniste et antisémite Henri Sempé.

– (avant dernier paragraphe) : du camp de Gurs, ont été déportés 1710 hommes, femmes et enfants les 6, 8 et 23-24 août 1942, puis 502 hommes et femmes le 1er septembre. La destination est clairement définie : “destinés à être expédiés en Allemagne”.

La deuxième lettre est adressée au Maréchal Pétain. Elle lui est arrivée le 31 août 1942. Elle est signée “La voix de la population paloise révoltée”.

Les quelques remarques suivantes peuvent être faites à son sujet :

1- il est impossible d’en connaître l’origine précise. Aucun nom ni aucun lieu ne sont cités. Mais on peut penser qu’elle provient des milieux chrétiens du département comme le montre l’allusion très claire à la lettre pastorale de Mgr Salièges du 23 août 1942 (qui reprend les mots du prélat : “ Les juifs sont des hommes”, ainsi que l’allusion aux dragonnades de Louis XIV.

2- la lettre dénonce “les traitements inhumains” infligés aux juifs : rafles, humiliations, persécutions, déportations.

3- La phrase “Je n’aime pas les Juifs parce qu’ils ont une suprématie arrogante avec leur argent” montre bien que l’auteur de la lettre semble refléter une opinion maréchaliste plutôt que résistante. Elle montre surtout l’ampleur de l’indignation suscitée par les mesures prises contre les juifs.

 

Première lettre.

Copie.                                                                                                                                                                                                                                          Pau, le 23 VIII 1942

Mes chers amis,

                Ici, la situation se modifie et empire chaque jour.

Elle empire dans ce sens que le nombre des juifs qui s’estiment exposés aux pires dangers ne fait qu’augmenter. En effet, si, il y a quelques jours, d’après les renseignements que vous connaissez certaines catégories pouvaient croire qu’elles devaient être exemptées. Il ne parait pas en être de même aujourd’hui. Ainsi, on croyait que les parents des enfants âgés de moins de cinq ans, les anciens engagés volontaires (tout au moins ceux qui ont fait trois mois de service effectif sous les armes), les travailleurs occupés dans les compagnies de travail, etc…devaient être exemptés et que les arrestations auxquelles on s’attend d’un jour à l’autre ne devaient pas les toucher. Selon les bruits de plus en plus persistants, l’opération « tant redoutée » s’étendrait aussi aux travailleurs, aux anciens engagés volontaires, etc… et que ne seraient exemptés que les parents des enfants ayant moins de deux ans, les malades intransportables, les femmes en état de grossesse de plus de sept mois et les parents d’enfants français – et qu’en plus l’opération s’étendrait non plus seulement aux juifs arrivés en France depuis 1936, à tous ceux qui sont arrivés depuis janvier 1933. Aussi, actuellement, c’est la majorité des réfugiés, y compris ceux qui se sont récemment évadés de Paris, qui s’estimant être exposés au danger d’être livrés à l’Allemagne. Je vous laisse deviner l’état d’âme de tous, l’affolement des mères qui peuvent croire qu’on les arracherait à leurs petits comme on l’a fait à Paris, l’indignation des anciens engagés volontaires, la terrible inquiétude qui a gagné tout le monde.

                Ce matin a passé par Pau un train de marchandises dont plusieurs wagons (à bestiaux), contenaient des juifs, venant de Gurs et envoyés dans la zone occupée, bien entendu, pour l’Allemagne.

                Le nombre de juifs retenus dans le stadium de Pau varie chaque jour : on renvoie certains, il en arrive d’autres.

                Nous avons obtenu des certificats d’hébergement dans une petite balnéaire à quelques 45 kilomètres d’ici, pour 60 personnes, qu’on devait libérés du stadium à condition d’avoir pour elles des certificats. Elles devaient partir le 20, mais ni ce jour-là, ni le lendemain, ni aujourd’hui on ne les pas libérés. De même, 16 personnes devaient être libérées du stadium hier, le 22, pour aller en résidence forcée dans une petite localité, Aulus, tout était prêt pour leur départ, y compris les billets de chemin de fer, mais finalement on ne les a pas libérés. Tout l’effort qu’on a fait pour obtenir les certificats d’hébergement, etc.. tombe ainsi à vide. Ce qu’on a fait aujourd’hui est effacé le lendemain. Mais le pire c‘est le découragement, la désolation des gens (souvent des mamans avec des enfants) qui aujourd’hui certains de devoir être libérés (ne fut-ce que provisoirement et dans un lieu de résidence forcée) sont retenus (sans qu’on leur donne aucune explication dans la prison improvisée qu’est le stadium).

                Je dois dire que les gens ne se plaignent pas des conditions matérielles de leur détention au stadium : au prix de 12 francs par personne et par repas, ils n’y mangent pas trop mal. Ils dorment sur des paillassons, peuvent se laver, etc… mais ne peuvent pas sortir, ne peuvent voir personne du dehors, et ce régime, qui est quand même celui de prison, les accable véritablement. J’ai pu y aller, causer avec quelques détenus, qui supplient de tout faire pour obtenir leur libération. Malgré tout ce qu’ils savent de la situation, malgré tout ce qu’ils ont vu à Paris, ils ne peuvent pas admettre qu’on puisse les traiter comme des criminels pour le seul fait d’avoir franchi, en se sauvant de la zone occupée, la ligne de démarcation… Les juifs n’arrivent pas encore, surtout s’ils ont en face d’eux, non pas des Allemands, mais des Français, qu’on puisse leur imputer en crime le seul fait d’être nés juifs.

                L’arrivage des fuyants de Paris s’est un peu ralenti ces derniers jours. Mais il en arrive toujours… Aussi la chasse à l’homme continue et les arrestations aussi. Rares sont ceux qui y échappent. Les arrêtés sont amenés soit au stadium d’ici soit directement dans les camps des environs. Le plus souvent, les procès-verbaux qui sont dressés quand ils sont arrêtés sont suivi par la citation devant le tribunal correctionnel de Pau, presque immanquablement, prononce des condamnations suivant les cas, soit pour usage de faux papiers d’identité. Les faux papiers sont le plus souvent fournis aux fuyards par « les passeurs » lesquels se font payer de plus en plus cher. Il y en a d’ailleurs qui pratiquent un véritable banditisme et, en cours de route, exige des malheureux en plus de la somme convenus, encore et encore des billets de mille et même des bijoux. On m’a cité le cas d’une femme à qui le passage de la ligne a coûté ainsi plus de 40 000 francs. Je sais aussi qu’on a demandé ce que coûterait de faire passer une femme avec deux petits enfants : le prix indiqué comme minimum est de 40 000 francs. On a le toupet d’ajouter que c’est bon marché car on risque beaucoup à faire passer la ligne à des juifs…

                Je vous ai déjà écrit au sujet de trente et quelques juifs (hommes et femmes) qui ont passé en correctionnel récemment. Tous ont été condamnés et le sursis n’a été accordé que dans un seul cas, celui d’une femme, jugée pour usage de faux papiers, et qui a pu établir que son mari a été fusillé comme otage à Paris.

                Dans quelques jours, doivent paraître en correctionnel encore quelques dizaines de juifs (hommes et femmes) les condamnations seront probablement les mêmes.

                « Indigné » de l’arrivée de ces juifs « indésirables » qui envahissent le département, un journal d’ici, ci-devant radical, a demandé de les renvoyer tous, sans plus, dans la zone occupée pour les remettre bien entendu, entre les mains des Allemands.

                Je travaille du matin au soir pour activer l’aide aux réfugiés, pour les voir, pour trouver les moyens de les placer quelque part, ne fut-ce que provisoirement et en résidence forcée. Le malheur comme je vous l’ai dit plus haut, c’est que ce qu’on a fait et préparé la veille avec la certitude de bien faire tombe le lendemain dans le néant à la suite d’un contre-ordre administratif.

                Tout laisse prévoir que les événements dans le genre de ceux de Paris se préparent pour ici, et par conséquent pour ailleurs aussi.

                Du camps de Gurs on a déjà envoyé précédemment 1 000 personnes disent les uns , 1600 affirment les autres. On affirme que quelques dizaines de détenus destinés à être « expédiés » en Allemagne avec les autres, ont réussi à se cacher au camp même. On ajoute que les 60 personnes envoyées hier seraient de celles qui se sont cachées et qu’on aurait récupéré depuis…

                Des demandes de secours affluent… Il est, certes, à prévoir des dépenses toujours croissantes.

                Je ne sais pas encore combien de jours il me serait nécessaire de rester ici. J’ai hâte de rentrer mais je ne saurais pas manquer à ma tâche d’ici.

                                                               Bien cordialement signé :   signature rayée.

P.S. Veuillez m’accuser d’un mot la réception de cette lettre.

 

Deuxième lettre.

Monsieur le Maréchal.

 

                        Je me fais l’interprète de la population paloise, indignée des traitements inhumains infligés à nos compatriotes d’infortune : les Israélites.

        Au XXème siècle, dans un pays qui a proclamé « les droits de l’homme et du citoyen » de tels agissements déshonorent le gouvernement actuel.

        Toute la population se révolte à l’idée que la police se présente la nuit dans ces familles pour séparer les divers membres qui la composent. J’ai vu aujourd’hui même des paloises « de cœur » et non des brutes pleurer dans un coin de rue en se racontant qu’une grand-mère israélite a été sommée cette nuit, à l’âge de 56 ans, de quitter immédiatement ses enfants et petits-enfants pour être conduite dans un lieu qu’on devait lui désigner à l’aurore ! J’ai entendu un père de famille raconter que si la police se présentait chez lui, il tuait son petit bébé d’un an et sa jeune femme avant de subir la séparation qu’on lui impose.

        Sommes-nous donc revenu avec vous, Monsieur le Maréchal à l’époque des dragonnades ? Allez-vous nous donner les spectacle navrant dune mère se jetant par la fenêtre pour mourir avec son enfant ou celui d’un père tuant lui-même son propre fils pour ne le livrer que mort à la police qui le réclame pour le lui enlever ? Est-ce là toute l’autorité que vous prétendez avoir pour résister à toutes les exigences du chef de nos ennemis transmises par votre agent de liaison Mr. Laval ? La justice tombera sur la tête de ce denier comme la foudre et à l’instant où il s’y attendra le moins. Mais vous ? Mr le Maréchal ? Ne savez-vous donc plus dire : Non ! N’êtes-vous pas en zone libre ? Nos ennemis sont-ils donc les maîtres dans la France entière ? Quel malheur s’il en est ainsi ! Et comment ne pas appeler de tout notre cœur ceux qui nous délivrerons : Anglais, Américains, Russes, Français combattants ! Il n’y a plus d’espoir de délivrance que de ce côté !

        Je n’aime pas les Juifs parce qu’ils ont une suprématie arrogante avec leur argent. Mais ce sont des hommes et des femmes. Ce ne sont pas des bêtes. Ils ont fondé une famille, ils ont des enfants et la France – pays démocratique – ne doit pas être celui qui déchire les cœurs de ces malheureux.

        Réduisez leur pouvoir d’achat ! Poursuivez-les s’ils achètent les denrées alimentaires à des prix que nous ne pouvons atteindre ! Mais ne nous donnez pas le spectacle d’une France Louis XIV.

        « La Voix d’une population paloise révoltée »

Porte un tampon « Arrivée du courrier Maréchal » daté du 31 août 1942

 

Référence des archives CDJC: lettre 1 : CCXIII-64

lettre 2: CCCLXXI-31

 

Pour y accéder: lettre 1 : cliquer ici.

lettre 2 : cliquer ici;

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