Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

Archives annuelles : 2024

Mémoire d’un expulsé de Lorraine. Décembre 1940.

Expulsé de Lorraine (Sarrebourg), le pasteur Teutsch  expose, en décembre 1940, dans une lettre adressée au Préfet des Basses-Pyrénées, les conditions de son départ vers la zone libre en le replaçant dans le contexte général des expulsions imposées par les Allemands.

 

 

 

Transcription de la lettre-mémoire du Pasteur Teutsch.  

 

Pau, le 9 décembre 1940.

Monsieur le Préfet des Basses-Pyrénées

              Pau

MEMOIRE D’UN EXPULSE, LE PASTEUR TEUTSCH DE SARREBOURG ARRACHE A SON FOYER LE 21 NOVEMBRE 1940 ;

Le pasteur Teutsch a l’honneur d’exposer ce qui suit :

J’ai eu à subir avec ma femme le 21 novembre l’expulsion inattendue de Sarrebourg (Moselle) après plus de 40 ans de service dans le saint ministère de l’Église Concordataire d’Alsace et de Lorraine/

I

FACON DONT L’EXPULSION S’EST FAITE.

  1. Le 21 novembre à 7h30 – il faisait encore nuit – un membre de la GESTAPO ( police secrète allemande) de Sarrebourg s’est présenté devant moi pour me faire savoir sans aucun ménagement que j’avais à quitter la ville avec ma femme en trois quart d’heure. Un emballage précipité a été fait sous la surveillance incessante et indélicate de l’émissaire de la police secrète. Ce court délai de 45 minute était d’autant moins justifié et d’autant plus cruel que, une fois transportés en camion à Bénestroff, nous avons du attendre sur une voie de garage sans pouvoir bouger.

  2. Immédiatement après l’arrivée du policier je me suis précipité au bureau de police où devait se trouver en ce moment le chef de la GESTAPO de Sarrebourg. Dans les temes les plus polis je lui exprimai mon étonnement en ajoutant que étant Alsacien et non Lorrain il me semblait que le « GAULEITER » se Strasbourg (chef suprême de l’Alsace) avait son mot à dire. Il m’a ri au nez. Ensuite, je me suis permis de lui demander le motif de mon expulsion, car même un criminel a le droit de savoir ce dont on l’accuse afin qu’il puisse se défendre. Avec la plus grande grossièreté le chef de la GESTAPO m’a coupé la parole en présence d’une demi-douzaine de policiers en hurlant « das geht Sie nichts an ! Das ist meine Sache ! Fort ! » (Cela ne vous regarde pas ! C’est mon affaire ! Sortez!)

    Comme je croyais devoir maintenir mon attitude, il m’a empoigné brutalement et poussé dehors. C’est ainsi qu’a agit un homme encore jeune à l’égard de gens à cheveux blancs.

  3. Rentré immédiatement, toujours suivi du soldat coiffé d’un casque, j’ai voulu réunir mes affaires en toute hâte, mais le policier avait d’autres préoccupations : il m’a demandé mon livret de caisse d’épargne qu’il a longuement vérifié et ensuite empoché en disant « Das gehört der PARTI » (Tout cela appartient au parti). Il m’a aussi demandé mes comptes en banque. Comme mon avoir en banque était bloqué par les Allemands, j’ai jugé inutile tout renseignement supplémentaire. Entre temps, le délai de 45 minutes étant écoulé, j’ai dans mon affolement emballé des choses inutiles en laissant derrière moi notre grand ménage, tous nos meubles précieux, notre argenterie, notre fortune, notre patrimoine. Le soldat procéda en notre présence à l’apposition de scellés sur toutes les portes de notre appartement.

  4. J’insiste sur le fait que j’avais fait de mon mieux pour m’adapter au nouveau régime sans toute fois lever le bras en hurlant « Heil Hitler » (Gloire à Hitler). Il me semble qu’un homme de caractère ne peut pas changer ses sentiments d’un jour à l’autre et tourner comme une girouette.

    II

    LA VERITE SUR LE MOTIF DES EXPULSIONS.

    Il y a deux formes d’expulsion pratiquées en Lorraine :

    Les expulsions en bloc des villages

    Les allemands publient dans les journaux qu’il s’agit d’une « convention entre le gouvernement français et allemand » et que le Maréchal Pétain désire recevoir les Alsaciens Lorrains en France. Donc on ne peut parler que d’un « transfèrement des Lorrains qui ont opté pour la France ».

    Rien n’est plus faux ! Comment les choses se sont-elles passées ? On a placé des villageois de Lorraine devant l’alternative : Vous avez à quitter le pays ! Vous irez ou bien en Pologne ou en France ! Choisissez ! Quand les gens disaient : «  Mais nous voulons rester chez nous, nous ne voulons pas partir, nous ne voulons pas quitter notre maison, on leur répondait : «  Il n’y a rien à faire, vous partirez ! Donc on vous inscrit pour la France » Parmi ceux-ci il y avait un bon nombre de paysans qui ne savaient pas un mot de Français, mais dont on voulait prendre les biens. La rage et la haine des occupants devaient cacher l’arbitraire de procédé. Ils voulaient se défaire des gens du pays pour y mettre les leurs.

    Les expulsions individuelles des indésirables.

Ces indésirables ce sont ceux qui parlent français à la maison et chez lesquels on soupçonne à tort ou à raison des sentiments patriotiques français. On y voit des éléments dangereux qui pourraient entraver la germanisation rapide du pays. Tout ce qui est français ou qui rappelle la France doit être extirpé.

J’ai été du nombre de ces indésirables. Depuis l’occupation de Sarrebourg par les Allemands, le 16 juin 1940, je me sentais entouré d’espions. Dans mes offices à l’église la police secrète était représentée en civil et en uniforme. Tout ce que je disais dans la prédication était mal interprété, les cantiques même que je faisais chanter servaient de cible aux inquisiteurs, on croyait devoir trouver partout des idées anti-hitlériennes, – et Dieu sait que j’ai scrupuleusement évité toute allusion à la situation politique. Ce que les rapporteurs ont pu dire était de la pure calomnie.

III

POURQUOI LE DEPOUILLEMENT DES BIENS .

Si les propriétés des expulsés sont sellées et réquisitionnées par le parti, pourquoi a-t-on dissous toutes les organisations et associations paroissiales ? Le contenu de toutes nos caisses de charité a dû être versé à la « Kreissparkasse » de la N.S.V. (national sozialistische Volkwohlfahrt) = caisse d’épargne d’arrondissement de la bienfaisance nationale socialiste pour le bien du peuple – même la somme que quelques dames de la paroisse avait réunie pour faire une excursion, même les ouvrages auxquels une quarantaine de dames avaient travaillé toute une année en vue d’une vente pour soutenir les pauvres et leur assurer le travail d’une diaconesse de paroisse qui faisait tant de bien aux malades sans distinction de confession. « Le contenu des caisses doit revenir » m’a-t-on dit « à la N.S.V. » qui s’occupera des pauvres et assurera leur entretien ».

Quel cynisme écœurant quand quelques jours après on expédie les pauvres et indigents de nos quartiers de misère et met en même temps la main sur le bien des Lorrains fortunés ! Dans mon train du 21 novembre il y avait 1 .000 expulsés (de Sarrebourg, de Sarreguemines, St-Avold, Forbach, etc..) dont la grande majorité était sans ressource. Avant d’organiser des fêtes de charité retentissantes on refoule ceux qui en auraient besoin.

Pour conclure je proteste contre l’expulsion de gens, qui avaient droit à leur sol natal, je proteste contre la manière cruelle et brutale des procédés, je proteste contre la justification hypocrite de l’inquisition et du vol, je proteste contre la manière mensongère des journaux allemands ou des journaux français inspirés par les Allemands d’exposer des faits éternellement inexcusables comme étant une mesure de charité bien ordonnée. Il faut avouer que ceux dont la famille a habité l’Alsace ou la Lorraine depuis des siècles ont le droit indiscutable d’aimer et de garder leur sol natal.

Les réfugiés ont lu avec le plus grand intérêt les belles paroles du Maréchal Pétain Chef de l’Etat, prononcées à la radio le 30 novembre en faveur des expulsés lorrains :

« FRANCAIS »

« 70.000 de nos frères de Lorraine sont arrivés en zone libre et ont dût tout abandonner : leurs maisons, leurs villages, leur église, le cimetière où dorment leurs ancêtres, tout ce qui fait enfin l’intérêt de la vie.

« Ils ont tout perdu

« Ils viennent demander asile à leurs frères de France.

« Les voici au seuil de l’hiver, sans ressources, n’ayant plus comme richesse que la fierté de rester Français.

« Ils acceptent pourtant leur malheureux sort ans se plaindre, sans récriminer. Ce sont des Français de grande race, à l’âme énergique, au cœur vaillant.

« Un grand nombre d’entre eux sont des paysans, installés au voisinage des frontières, ils ont au cours des siècles souffert plus que d’autres des rigueurs de la guerre. Je ressens, comme vous le ressentez vous-mêmes, toute leur peine.

« Le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour soulager leur infortune et leur ouvrir les moyens de vivre et travailler.

« Mais les Lorrains méritent mieux, il faut que l’accueil qui leur est fait soit l’accueil du cœur, celui que l’on réserve à des parents aimés.

« Que chacun s’ingénie à leur faire retrouver là où ils seront placés, la douceur d’un foyer et l’ambiance de la grande amitié française. »

Ces paroles du grand chef n’ont pas été de simples mots de circonstance, mais se sont pleinement réalisés. Nous étions profondément touchés par « l’accueil du cœur » qui nous a été réservé à Pau et dans de nombreux villages environnants. Hantés par le souvenir des brutalités nous avons trouvé non seulement un air de liberté réconfortante mais aussi l’ambiance de réelle amitié française. J’ai ou constater dès la première heure que la ville de Pau n’est pas un exil, mais un foyer, une famille, une communauté de frères où chacun rivalise dans l’effort de nous mettre à l’aise et de nous témoigner l’affection chrétienne. Personnellement, j’ai était tout particulièrement ému par l’amabilité et la compréhension de Monsieur le Préfet qui a bien voulu nous recevoir le lendemain de notre arrivée et a aplani avec tant d’empressement et de bienveillance les premières difficultés. J’ajoute que mon collègue, monsieur le Pasteur de Pau et Madame Nouvelon ont été charmants à notre égard en nous recevant ma femme et moi dans la détresse de premiers jours comme on reçoit de vieux amis, ils étaient toujours prêts à nous rendre service.

En outre, une dame que je n’avais pas connue auparavant a fait preuve d’une grande générosité en mettant un joli logement meublé à ma disposition. Nous nous y sentons, ma femme et moi, comme « chez nous ». Je tien à dire à tous nos bienfaiteurs un chaud merci.

Signé Teutsch

(Ancien) Pasteur de Sarrebourg (Moselle)

Expulsé par les Allemands, le 21 novembre 1940

14, rue Marca – Pau

Source:

AD 64: cote 1031W225

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